Publié par : gperra | 22 avril 2013

Comment j’en suis venu à témoigner

Comment j’en suis venu à témoigner

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Extrait du jugement de la XVIIème chambre correctionnelle de Paris du 24 mai 2013 :

 

Sur la bonne foi :

« Grégoire PERRA démontre qu’il a continué après cette démission (de l’école Perceval de Chatou) à collaborer avec le milieu anthroposophique, remettant ainsi le 28 janvier 2008 à Danièla HUCHER, membre du Conseil de la Fédération des Ecoles STEINER-WALDORF et membre du Comité Directeur de la Société Anthroposophique, un « petit rapport sur la question de la formation des professeurs dans les écoles WALDORF en France » dans lequel il évoque notamment la « constitution d’un vase clos profondément pathogène » au sein de ce corps enseignant et propose diverses solutions.

Grégoire PERRA a ensuite remis le 29 janvier 2008 un autre rapport, à Antoine DODRIMONT et Bodo von PLATO, rédigé à leur demande, intitulé « Réflexions sur le projet de Formation Anthroposophique Générale », dans lequel il formule plusieurs propositions visant à parfaire la formation anthroposophique.

Il a enfin remis le 15 décembre 2008 un troisième rapport aux instances anthroposophiques, intitulé « Lettre sur la formation anthroposophique en France » dans lequel il expose notamment les « défauts » et « travers du milieu anthroposophique » afin de pouvoir « avancer », ce qui illustre le fait qu’il s’est forgé une opinion critique à l’occasion des travaux ainsi réalisés. Puis il a publié en 2009 un article intitulé « de l’Idéalisme à l’Anthroposophie » dans la revue « Nouvelles de la Société Anthroposophique en France » datée de juillet-août 2009, qu’il qualifie lui-même de point de rupture dans sa propre réflexion concernant la doctrine anthroposophique, soutenant désormais que cette doctrine menaçait son propre libre arbitre.

Bien qu’ayant démissionné en juin 2009 de la Société Anthroposophique, il a donné par la suite une conférence intitulée « Le milieu anthroposophique, une animalisation de la vie de la pensée », dont le texte a été mis à disposition des membres de la Société Anthroposophique en France, notamment par l’intermédiaire des « Nouvelles de la Société Anthroposophique, en juin 2010, alors même qu’il y évoque la thèse de l’endoctrinement des élèves des écoles STEINER à l’anthroposophie.

Il résulte de ces éléments que, loin d’être le fruit d’une « haine féroce », le témoignage rédigé par Grégoire PERRA, publié sur le site de l’UNADFI, est le fruit d’une réflexion philosophique sur l’anthroposophie elle-même et sur ses modes de propagation, notamment au sein des Ecoles STEINER WALDORF

Dès lors, c’est également vainement que la partie civile soutient que « l’UNADFI » serait mue par une animosité personnelle caractérisée par le fait qu’elle a reproduit les propos, sans aucune réserve, de Grégoire PERRA, puisqu’aucune animosité n’est retenue à l’encontre de celui-ci.

En outre, non seulement l’UNADFI a fait droit à la demande de droit d réponse formulée par la partie civile, mais aucune animosité personnelle n’est établie de la part de Catherine PICARD et Marie DRILHON à l’encontre de la partie civile, celles-ci n’ayant fait que respecter l’objet social assigné à l’UNADFI en portant à la connaissance du public des éléments de réflexion permettant d’alimenter un débat démocratique, lequel se doit d’être ouvert à la critique, à l’interrogation et à la réflexion.

Enfin, le « sérieux de l’enquête » n’est pas utilement contesté par la partie civile, puisque les propos d-incriminés, sortis de leur contexte, relèvent en réalité d’un simple témoignage, émanant d’une personne apte à donner un avis sur le fonctionnement des Ecoles STEINER WALDORF puisque Grégoire PERRA a d’abord été  élève dans deux Ecoles STEINER WALDORF, puis professeur dans ces écoles, membre de la Société Anthroposophique en France et enfin a travaillé non seulement pour la Fédération des Ecoles STEINER WALDORF mais encore pour la Société Anthroposophique pour réformer la formation anthroposophique de manière générale et au sein des Ecoles STEINER WALDORF en particulier, étant observé qu’il était légitime pour la présidente de l’UNADFI, spécialiste au surplus de la lutte contre les mouvements sectaires, de donner la parole à Grégoire PERRA dans le cadre de son association, et que Marie DRILHON n’ayant fait que recueillir le témoignage, présenté comme tel, de Grégoire PERRA, n’avait pas à en vérifier la véracité.

L’excuse de bonne foi pouvant ainsi être admise, il convient de renvoyer les prévenus des fins de la poursuite.

Sur l’action civile :

L’association FEDERATION DES ECOLES STEINER-WALDORF EN FRANCE est recevable en sa constitution de partie civile, mais elle doit être déboutée de toutes ses demande en raison de la relaxe prononcée.

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de Grégoire PERRA, Marie JOIN LAMBERT, Catherine CORDONNIER épouse PICARD prévenus, et de l’association FEDERATION DES ECOLES STEINER-WALDORF EN FRANCE, partie civile (article 424 du code de procédure pénale),

Renvoie Grégoire PERRA, Marie JOIN LAMBERT, Catherine CORDONNIER épouse PICARD des fins de la poursuite,

Reçoit l’association FEDERATION DES ECOLES STEINER-WALDORF EN FRANCE en sa constitution de partie civile,

La déboute de ses demandes en raison de la relaxe prononcée. »

Qu’est-ce que l’anthroposophie et la pédagogie Waldorf ?

Pour comprendre la démarche qui a été la mienne, il faut que l’anthroposophie, qui est en cause dans mon témoignage, et qui a donné naissance aux écoles Steiner-Waldorf, soit tout d’abord caractérisée. Il n’est pas facile de le faire synthétiquement, car il s’agit d’une œuvre immense qui touche à de très nombreux domaines, mais je crois qu’on peut dire la chose suivante :

Au début du XXème siècle, un jeune essayiste qui avait quelques prétentions philosophiques est devenu membre et dirigeant de la Société Théosophique. Là, il a affirmé avoir des dons de clairvoyance, de médiumnité, qui l’autorisait à faire des révélations concernant tous les domaines de la vie. De surcroît, il a également prétendu avoir mis au point une méthode permettant à quiconque la suivrait de devenir lui-même un clairvoyant. Cette méthode combine des exercices de méditation occultes (consignés dans son livre intitulé L’Initiation, Ed. Triades), mais aussi une épistémologie à caractère philosophique et scientifique (qu’il prétend asseoir sur les travaux scientifiques de Goethe notamment, consignée dans plusieurs ouvrages dont Une théorie de la connaissance chez Goethe, Ed. EAR). Cette méthode, mi-occulte mi-scientifique (en fait pseudo-scientifique) lui aurait donc permis d’avoir des révélations sur la réalité cachée du monde et de recevoir des indications directes des Dieux. L’anthroposophie doit donc être considérée comme une « nouvelle religion », mais elle prétend en même temps être une démarche scientifique, une « nouvelle science ».

C’est à partir de ces « révélations divines », transmises par les Dieux à Rudolf Steiner, mais présentées comme des résultats d’une démarche scientifique, qu’a été fondée la pédagogie Waldorf. De ce fait, les principes à l ‘œuvre dans ces écoles ont tout de suite pris un caractère sacré. Il était impensable de les modifier, de les critiquer, de les remettre en cause, puisque cette méthode pédagogique venait directement du « monde spirituel », selon l’appellation des anthroposophes, par l’entremise d’un homme considéré comme un gourou. Or, nombreux sont les principes de ces écoles présentant, à mon sens, un caractère dysfonctionnel. Par exemple, la gestion collégiale (sans directeur ni hiérarchie reconnue) des écoles. Ou l’absence de notations. Ou la promiscuité professeurs-élèves. Ou le goût de l’irrationnel que ces écoles inculquent. Et surtout le fait qu’elles aient été conçues comme un monde à part, correspondant aux critères des anthroposophes, notamment alimentaires, esthétiques, religieux, relationnels, etc. C’est pourquoi il a été absolument nécessaire aux pédagogues anthroposophes de ces écoles de masquer les dysfonctionnements de leurs écoles dès lors qu’ils apparaissaient : étant issus d’une Révélation, ils ne pouvaient que produire une pédagogie exemplaire ! Ce qu’ils ont fait jusqu’à nos jours, avec des techniques de dissimulation de plus en plus rodées. De plus, la prétention des écoles Steiner-Waldorf à être la meilleur éducation qui soit et à obtenir pour cette raison des subsides des collectivités, notamment de l’Éducation Nationale, les a conduits à dissimuler également la véritable nature de leur pratique pédagogique, laquelle ne pouvait s’accorder aux critères éducatifs des différents pays où cette pédagogie s’implantait.

Récapitulatif des dates de mon parcours chez les anthroposophes :

  • septembre 1979 : entrée à l’école Steiner-Waldorf de Verrières-le-Buisson en classe de CE2 (4ème classe);

  • septembre 1988 : entrée à l’école Steiner-Waldorf Perceval de Chatou en classe de Terminale (13ème, à l’époque) ;

  • 23/03/1994 au 31/06/1996 : professeur d’Histoire-Géographie à la Libre École Steiner de Verrière-le-Buisson ;

  • 1995 : je deviens membre de la Société Anthroposophique en France ;

  • 2001 : rédacteur et membre de la Rédaction de l’Esprit du Temps, principale revue anthroposophique publique en France ;
  • septembre 2002 : obtention du Capes de Philosophie, début de ma carrière d’enseignant à l’Éducation Nationale ;

  • juin 2003 : démission de la Rédaction de l’Esprit du Temps ;
  • septembre 2003 : je suis embauché à temps partiel par l’école Perceval de Chatou comme professeur de Philosophie, puis également de Français et de Théâtre ;

  • 22 mars 2007 : je donne ma démission de l’école Perceval de Chatou ;

  • de mars 2006 à juin 2007 : formation pédagogique par week-ends à l’Institut Rudolf Steiner de Chatou ;

  • 25 juillet 2007 : je donne ma démission de la Formation pédagogique de l’Institut Rudolf Steiner de Chatou ;
  • 28 janvier 2008 : remise du rapport sur les écoles Steiner-Waldorf à Danièla Hucher, membre de la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf et membre du Comité Directeur de la Société Anthroposophique ;

  • courant 2008 : remise d’un premier rapport sur la formation anthroposophique à Antoine Dodrimont et Bodo von Plato ;

  • 22 novembre 2008 : participation au congrès de Biodynamie : « Agriculture et éthique du vivant », avec Jean-Marie Pelt ;
  • 15 décembre 2008 : remise du deuxième rapport sur la formation anthroposophique ;

  • mars-avril 2009 : parution de l’article intitulé De l’idéalisme à l’anthroposophie dans les Nouvelles de la Société Anthroposophique en France ;

  • juin 2009 : je démissionne de la Société Anthroposophique ;

  • avril 2010 : je donne une conférence intitulée Le milieu anthroposophique, une animalisation de la vie de la pensée, mise à disposition des membres de la S.A.F. sous forme écrite à partir de juin 2010 ;

  • juillet 2010 : prise de contact avec la Présidente de la SOFI 94, association liée à l’UNADFI ;

  • novembre 2010 : prise de contact avec la directrice de Bulles de l’UNADFI ;

  • novembre 2010-mai 2011 : rédaction de mon témoignage paru sur le site de l’UNADFI

  • mai 2011 : rencontre avec le Bureau de Bulles, la revue de l’UNADFI au sujet de mon témoignage : séance de questions et de corrections avant publication ;

  • juin 2011: publication de la version courte de mon témoignage dans la revue BULLES ;

  • 8 juillet 2011 : mise en ligne de la version longue de mon témoignage sur le site de l’UNADFI ;

  • 10 août 2011 : lettre de remerciement du Secrétaire Général de la MIVILUDES au sujet de mon témoignage.

  • 1er septembre 2011 : collège de rentrée des professeurs de l’école Steiner-Waldorf de Verrières-le-Buisson consacré au point de vue de la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf sur mon témoignage ;
  • depuis septembre 2012 : rencontre avec diverses institutions de la République.
  • 4 juin 2013 : relaxe définitive de la mise en accusation pour diffamation intentée par la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf.

Les acteurs

Pour bien comprendre les événements que je vais à présent décrire, il est nécessaire d’en préciser au moins six acteurs institutionnels, que l’on a tendance à confondre en raison de leurs liens étroits :

  • l’école Perceval de Chatou, dirigée à l’époque par Danièle Burlotte (directrice officiellement, mais simple membre du Collège de Direction dans les faits), Franck Gardian, Joël Acremant et Benoît Journiac (notamment) ;

  • la Libre école Rudolf Steiner de Verrière-le-Buisson, dont la directrice (officielle) est Marie-Céline Gaillard ;

  • la Fédération des écoles Steiner-Waldorf, présidée par Isabelle Ablard-Dupin, puis Jacques Dallé, puis Marie-Céline Gaillard ;

  • l’Institut de Formation Pédagogique Rudolf Steiner de Chatou, dirigé par Raymond Burlotte et Marie-Céline Gaillard (oui, elle est partout !) ;

  • la Société Anthroposophique en France, présidée par Antoine Dodrimont ;

  • la Société Anthroposophique Universelle, basée à Bâle, en Suisse, dirigée notamment par Bodo von Plato.

Ma démission de l’école Perceval de Chatou

Comme je l’ai dit dans mon article, j’ai été tout d’abord élève à l’école Steiner-Waldorf de Verrières-le-Buisson, puis de l’école Perceval. Je suis devenu officiellement anthroposophe à l’âge de 25 ans en devenant membre de la Société Anthroposophique. J’ai enseigné pendant deux ans à l’école Steiner de Verrières-le-Buisson, de 24 à 26 ans. A 30 ans, en 2000, je suis aussi devenu membre de la Communauté des Chrétiens (une filiale cultuelle de l’anthroposophie). En 2002, j’ai obtenu le concours de professeur certifié de Philosophie à l’Éducation Nationale. En 2003, je suis devenu professeur de Philosophie à l’école Perceval de Chatou, y effectuant quelques heures, en plus de mon service normal à l’Éducation Nationale. Le fait d’avoir un pied dans les deux systèmes m’a placé dans une situation de comparaison. Je me suis donc mis à faire des remarques ou des propositions qui se voulaient constructives, mais qui de fait remettaient en cause le fonctionnement de l’école Perceval. Ce qui, dans ce milieu, a été perçu comme des attaques. Pour ma part, je ne remettais pourtant nullement en cause la pédagogie Waldorf : je pensais y apporter des améliorations.

Par ailleurs, un autre point de comparaison m’a été fourni lorsque j’ai commencé ma formation à l’Institut Rudolf Steiner de Chatou. J’ai pu alors constaté un grand décalage entre ce que nous étions sensé faire du point de vue de ce que devrait être la pédagogie Waldorf et ce qui était pratiqué dans l’école où j’exerçais. Je tentais alors de faire aussi des propositions d’amélioration dans ce sens. Je pensais à cette époque que nous n’étions pas assez Waldorf, que nous ne suivions pas authentiquement les principes de Rudolf Steiner et que notre inefficacité était une trahison de l’esprit de cette école. Je pensais que Rudolf Steiner n’aurait jamais voulu que nous restions figés dans des formes rigides d’enseignement et de fonctionnement, conformément à l’exhortation à s’adapter aux circonstances nouvelles qu’il professe au début de son ouvrage intitulé Nature Humaine, qui est le livre de base des pédagogues anthroposophes. Cette remise en question des modes de fonctionnement de l’école Perceval a été de plus en plus mal vécue par certains professeurs membres du Collège de Direction.

Ma démission eut lieu le 22 mars 2007.

Ma démission de la formation pédagogique de l’Institut Rudolf Steiner de Chatou

Suite à cette démission, j’ai été reçu par Jacques Dallé, alors Président de la Fédération, et Raymond Burlotte, Directeur de l’Institut de Formation Pédagogique Rudolf Steiner de Chatou. Je leur ais décrit dans le détail la situation réelle de l’école Perceval de Chatou et tout ce qui s’y produisait. Je fus autorisé à continuer la formation pédagogique si je le souhaitais.

De mars à juin 2007, j’ai donc poursuivi la formation par week-ends à la formation pédagogique à l’Institut Rudolf Steiner de Chatou. Mais je prenais de plus en plus conscience que la méthode-même que l’on nous inculquait était déficiente. J’en faisais part parfois ouvertement à mes formateurs, qui pour certains allaient dans mon sens à mots couverts. En septembre 2007, j’ai pris la décision de ne pas continuer cette formation, bien que je fus encouragé à le faire, et je donnais ma démission. Je ne souhaitais plus travailler dans les écoles Steiner-Waldorf et pensais qu’une rénovation en profondeur de cette pédagogie était nécessaire.

Mes trois rapports internes sur la formation anthroposophique et sur la pédagogie Steiner-Waldorf

C’est à partir de juillet 2007 que je suis venu à collaborer étroitement avec Antoine Dodrimont, Président de la Société Anthroposophique.

Antoine Dodrimont m’avait déjà invité à participer à des congrès anthroposophiques. A partir d’août 2007, il voulu intensifier notre collaboration, suite à ma participation avec lui à un congrès anthroposophique destiné aux jeunes, sur « l’humour cosmique », pendant lequel je donnais une conférence intitulé La racine philosophique de l’Anthroposophie et le retour des Sorciers.

Fin 2007, je fus reçu par le Comité Directeur de la Société Anthroposophique, qui me chargea de réfléchir à la question d’une formation à l’anthroposophie pour les jeunes. Je rédigeais pour cela deux rapports successifs, adressés à Antoine Dodrimont et Bodo von Plato. A la même époque, Daniéla Hucher entra au Comité Directeur de la Société Anthroposophique. Cette personne était directrice d’une école Steiner-Waldorf dans le Sud de la France, à Pau, mais également membre de la Fédération des écoles Steiner-Waldorf. Elle me commanda un autre rapport, cette fois sur les écoles Steiner-Waldorf. Ce rapport lui fut remis le 28 janvier 2008 (il est présent sur mon blog dans l’article intitulé Mes rapports sur la formation anthroposophique et sur les écoles Steiner-Waldorf en 2008).

C’est à l’occasion de la rédaction de ces rapports que j’ai commencé à prendre conscience des dysfonctionnements de l’anthroposophie et des écoles Steiner-Waldorf. Je dis bien « commencé », car je ne remettais pas encore en cause l’ensemble du système, ni la figure de Rudolf Steiner et son anthropospophie. Je restais un anthroposophe fervent, pratiquant ses méditations anthroposophiques quotidiennes et participant au culte de l’École de Science de l’Esprit. Je pensais qu’il était possible d’améliorer et de résorber son caractère problématique produisant de graves dysfonctionnements. Antoine Dodrimont allait ouvertement dans mon sens et me disait qu’ensemble nous allions rénover la Société Anthroposophique.

Le premier rapport qui m’avait été commandé a été remis à Antoine Dodrimont et Bodo von Plato courant 2008. Il suscita quelques remarques et propositions de corrections, notamment après une séance de travail avec Bodo von Plato en septembre 2008. Le deuxième, qui intégrait ces remarques, fut remis le 15/12/2008. Cependant, la réaction d’Antoine Dodrimont, consistant à vouloir cacher aux yeux de tous les conclusions de ce rapport, m’a indigné et c’est là que j’ai compris que le caractère problématique de cette institution était assumé par ses dirigeants.

Le 22 novembre 2008, Je fus convié par Antoine Dodrimont à participer à un grand congrès de Biodynamie en tant qu’intervenant, aux côté de Michaëla Glockler et Jean-Marie Pelt. J’y donnais une conférence et animais un atelier.

Mes articles de fond sur l’anthroposophie

Parallèlement à ces trois rapports, commandés par la Société Anthroposophique et la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf, je rédigeais également des articles de fond sur l’anthroposophie, qui paraissaient dans la revue de la Société Anthroposophique (Les Nouvelles). Ce travail était de nature plus philosophique. Dans ces articles également, mes conclusions en arrivaient à remettre en cause le caractère problématique du milieu anthroposophique et même de la doctrine qui le sous-tend. Dans l’un d’entre eux, intitulé De l’idéalisme à l’anthroposophie, paru dans les Nouvelles de la S.A.F de mars-avril 2009, je dénonçais le fait que les institutions anthroposophique conduisaient bien souvent ses membres à devenir des « esclaves du spirituel ». Je m’appuyais notamment sur un ouvrage dont la lecture fut essentielle pour moi, à savoir Difficile liberté d’Emmanuel Lévinas. Dans cet essai philosophique, Lévinas examine en effet deux type de rapport au divin, ou au sacré, que l’on pourrait aussi appeler le « numineux », ou le « monde spirituel », si l’on est anthroposophe. Il distingue la possession, qui se constitue d’un oubli de soi pour être traversé par le sacré ou le divin (l’enthousiasme, au sens étymologique de « en » et « théos ») et la relation au divin, incarnée par le Judaïsme. Je compris alors que tout ce que j’observais dans le milieu anthroposophique était davantage de l’ordre de la possession que de la relation au divin.  Cet article éveilla aussitôt l’hostilité de quelques dirigeants importants du mouvement. Là-encore, cette attitude me permit de comprendre que la liberté de pensée et d’expression, dont se réclament à corps et à cris les anthroposophes, était purement factice et hypocrite.

Ma démission de la Société Anthroposophique

C’est l’ensemble de ce travail de réflexion, entamé d’une part à l’occasion de la rédaction de mes trois rapports, et d’autre part à l’occasion de mes articles philosophiques sur l’anthroposophie, qui m’a conduit à démissionner en juin 2009.

Cette démission me donna la possibilité de prendre encore davantage de distance d’une part, et de vivre une vie normale de l’autre, dans laquelle je m’épanouissais. Tant qu’on a encore un pied dans le milieu anthroposophique, il est impossible de comprendre sa vraie nature. Seule la coupure radicale ouvre les yeux. Je continuais ainsi de manière intellectuellement plus libre mon travail de réflexion sur le caractère enfermant de l’anthroposophie et des écoles Steiner-Waldorf. Cela donna lieu à une conférence, tenue au siège de la Société Anthroposophique en avril 2010, intitulé Le milieu anthroposophique, une animalisation de la vie de la pensée. J’y dénonçais clairement le caractère « vampirique » de l’anthroposophie et de ses institutions dérivées, ainsi que l’enfermement mental que les écoles Steiner-Waldorf mettaient selon moi en œuvre sur leurs élèves.

La rédaction de mon témoignage paru sur le site de l’UNADFI

En juillet 2010, je me m’y à écrire mes souvenirs de ma scolarité dans les écoles Steiner-Waldorf, ainsi que mes souvenirs d’ancien professeur de ces institutions. Il s’agissait de notes manuscrites sur un cahier. Je les fit lire par ma meilleure amie, qui me conseilla de solliciter l’éclairage de spécialiste des sectes pour m’aider à progresser dans mon travail de réflexion en cours. Toujours sous ses conseils, je pris contact avec la SOFI 94, une association de lutte contre les dérives sectaires du Val de Marne, à qui je racontais l’ensemble de mon histoire. A l’issue de cet entretien, la Présidente demanda mon autorisation de contacter l’UNADFI, pour leur faire part de ce que nous avions échangé. Pendant plusieurs mois, je n’eus plus aucune nouvelle et je finis par penser que l’affaire serait sans suite, ce qui ne me dérangeait nullement. Mais en novembre 2010, je fus contacté par la directrice de la revue BULLES, revue de l’UNADFI, qui me demanda de commencer à rédiger un témoignage écrit de mon parcours chez les anthroposophes et de mon expérience de professeur dans les écoles Steiner-Waldorf. Je le fis volontiers, car je pensais que ce travail de rédaction serait un moyen de clarifier ma réflexion en la soumettant au regard d’une personne avertie. Au même moment, je tombais gravement malade et fus alité pendant plusieurs mois. Ceci me donna la possibilité de me consacrer entièrement à la rédaction de ce long article, ce qui n’aurait pas été possible tout en travaillant. J’envoyais, par bribes, des fragments de mon travail à la directrice de Bulles, qui les lisait et m’interrogeait au sujet de ce que j’avais écrit, me demandant des précisions, stimulant par ses questions ma réflexion et m’invitant à examiner des aspects particuliers du sujet auxquels je n’avais pas songé. Elle me demanda de détailler scrupuleusement tous les faits mentionnés dans mon témoignage et de lui communiquer les noms des personnes impliquées, qui n’ont pas été conservés dans la version finale pour ne pas porter atteinte à leur réputation. Elle me demanda également de préciser mes sources et référencer mes propos quand cela était possible, ce qui de toute façon était ma méthode de travail. Elle m’aida également à prendre de la distance avec le vocabulaire spécifique du milieu anthroposophique et des écoles Steiner-Waldorf, qui n’est compréhensible qu’à l’intérieur des cercles de ce petit monde.

Dans le même temps, j’étais encore en contact avec plusieurs anciens élèves de ces écoles et avec un professeur Steiner-Waldorf encore en activité. J’eus avec chacun d’eux de longs entretiens au cours desquels ceux-ci me confièrent différents éléments me permettant de conclure au caractère problématique de ces écoles. Ils étaient au courant du fait que je rédigeais cet article. Les entretiens avec les anciens élèves me permirent en effet de percevoir leurs grandes difficultés d’intégration psychologique à la société normale, leur souffrance pour abandonner le monde à part qu’ils avaient connu, et dans lequel ont leur avait donné artificiellement une image surestimée d’eux-mêmes. Comme ces élèves en était précisément au début de leurs études universitaires, ils devaient affronter ces difficultés de façon très consciente et pouvaient en témoigner clairement. Le professeur en activité, quant à lui, me faisait part du fonctionnement interne de son école, des graves problèmes de gestion collégiale qu’il y rencontrait, des pratiques relationnelles hautement problématiques y observait et subissait, etc. J’y décelais avec étonnement les mêmes processus que j’avais déjà rencontrés dans d’autres écoles Steiner-Waldorf, ou des méthodes dont on m’avait parlé à la formation en évoquant d’autres écoles de France et d’Allemagne. C’est ainsi que je pus prendre conscience du fait que ces dysfonctionnements n’étaient pas propres à telle ou telle école particulière, comme je l’avais cru jusqu’alors, mais qu’ils étaient inhérents au système Steiner-Waldorf dans son ensemble. Par ailleurs, le professeur toujours en activité, qui avait ses enfants scolarisés dans une école Steiner-Waldorf, me racontait des éléments de leur scolarité. J’y voyais dans les détails comment certains mécanismes d’enfermement mental et de conditionnement subtils étaient mis en place dès le plus jeune âge, absolument identiques à ceux que j’avais vécu moi-même en tant qu’élève, ou que j’avais observé et mis en pratique moi-même en tant que professeur.

La publication de mon témoignage eut lieu en juillet 2011. Début septembre 2011, le professeur en question repris contact avec moi pour m’annoncer que le collège de rentrée de l’école où il travaillait avait pour intitulé : « L’article de Grégoire Perra : le point de vue de la Fédération ». Le soir-même, il m’appela pour m’en faire un compte-rendu détaillé. Il était absolument stupéfait du fait que Marie-Céline Gaillard, Présidente de la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf et Directrice de l’école de Verrières-le-Buisson, aurait au cours de cette réunion (selon ses dires) pris la défense de mon article contre tous les professeurs de l’école réunis, affirmant que de nombreuses choses que j’y avais dites étaient vraies. Il ajoutait cependant que la Fédération se verrait probablement dans l’obligation d’attaquer mon écrit en diffamation afin de contrer les effets qu’il pouvait produire dans l’opinion publique. Il précisa qu’il aurait été dit, au cours de cette réunion, que la stratégie adoptée par la Fédération consistait pour l’heure à tenter d’étouffer l’affaire. Il s’agissait de qualifier publiquement mon écrit de « pamphlet ». Cependant, lors de cette réunion, Marie-Céline Gaillard aurait affirmé qu’en interne, on ne devait pas qualifier ce témoignage de pamphlet, mais qu’il fallait utiliser le terme d’article, car il s’agissait d’un travail qui reflétait mes pensées, et que les écoles devaient prendre au sérieux ce qui y était écrit afin de changer leurs modes de fonctionnement. (Ces propos retransmis par une personne de bonne foi sont cependant sujets à caution, puisque je ne les ais pas moi-même entendus). Cela suscita, toujours d’après les dires de ce professeur, l’indignation des professeurs Steiner-Waldorf purs et durs qui étaient présent lors de cette réunion. On me procura par ailleurs un courrier interne de la Fédération aux professeurs des écoles Steiner-Waldorf en activité, signé du Secrétaire Général de la Fédération, Henri Dahan, reprenant la position défendue par Marie-Céline Gaillard devant ses collègues. Il y disait clairement que « l’écrit de Grégoire Perra posait des questions importantes », que « je n’étais pas le premiers à le faire » et « qu’il faudrait y réfléchir une fois maîtrisées les conséquences de son acte ».

La poursuite de mon travail de réflexion

Suite à la publication de mon article, j’ai poursuivi mon travail de réflexion sur les écoles Steiner-Waldorf et l’Anthroposophie, ce qui a donné lieu à la publication de nombreux articles sur mon blog. Dans une première catégorie d’articles, j’ai tenté d’approfondir le caractère enfermant de l’anthroposophie en tant que doctrine, le fonctionnement de la Société Anthroposophique et du milieu anthroposophique (par exemple dans l’article intitulé Qui sont les anthroposophes? ou Les pressions du milieu anthroposophique). Dans une autre catégorie d’articles, j’ai tenté de mieux cerner les processus de transmission insidieuse de la doctrine anthroposophique aux élèves, à l’œuvre selon moi dans les écoles Steiner-Waldorf (par exemple dans Une emprise et un endoctrinement presque indétectables). Enfin, dans un dernier article particulièrement long et documenté, me basant sur des écrits secrets de Rudolf Steiner qui étaient en ma possession, j’ai pu montrer comment des techniques de dissimulation et de tromperie organisées semblent avoir été instituées par Rudolf Steiner lui-même dès la création de la première école Steiner-Waldorf à Stuttgart en 1919 (Extraits édifiants des Conseils de Rudolf Steiner à la première école Steiner-Waldorf de Stuttgart).

La publication de mon témoignage a suscité beaucoup d’intérêt dans le monde de la part d’un grand nombre de personnes connaissant ces écoles et dénonçant leur vraie nature. Notamment Dan Dugan, Président de PLANS, Roger Rawlings, directeur du site WALDORF-WATCH, et Yves Casgrain, ancien directeur de INFO-SECTES au Canada, auteur d’un ouvrage à paraître sur les écoles Steiner-Waldorf. Ces personnes ont accepté de témoigner en faveur de mon écrit auprès du Tribunal. Mon article a été traduit et publié en langue anglaise, témoignant de l’estime et de l’intérêt que lui accordent des personnes averties.

Prises de contact avec les institutions de la République

Suite à la publication de mon témoignage, celui-ci fut envoyé à la MIVILUDES. Je reçus le 10 août 2011 une lettre de remerciement du Secrétaire Général de la MIVILUDES soulignant la « pertinence et la précision de mes informations » et la « finesse de mes analyses ».

J’ai été reçu depuis lors par différentes institutions de la République afin de répondre à leurs questions au sujet de ces écoles. Je l’ai fait parce que je ressens que tel est mon devoir de citoyen.

Et après ?

Ma relaxe définitive a été prononcé par la XVIIe chambre correctionnelle de Paris le 4 juin 2013.

Il me semble important que la société et ses instances sache désormais que  :

  • l’enfermement mental provoqué sur les élèves des écoles Steiner-Waldorf est selon moi cause de souffrances psychologiques profondes et porte atteinte à leur dignité, à leur liberté intérieure, même s’ils ne s’en rendent pas nécessairement compte en raison du caractère subtil de l’endoctrinement subi ;

  • que les parents qui mettent leurs enfants ont le droit de savoir quelle est la véritable nature de cette pédagogie, qui est cachée au départ à tous ceux qui ne sont pas des anthroposophes, ou qui n’est pas divulguée de manière suffisamment claire et explicite ;

  • que les écoles Steiner-Waldorf ne peuvent selon moi exister et maintenir leur « pédagogie », telle que l’a transmise Rudolf Steiner, qu’en s’appuyant sur des transgressions de la loi et en négligeant sciemment d’informer correctement leurs autorités de tutelles.

Je revendique le droit à l’expression du point de vue qui est le mien sur ces écoles, lequel est sérieux, réfléchi, documenté et issu d’une expérience personnelle qui me permet de comprendre les choses de l’intérieur et d’en témoigner. Je ne prétends pas détenir la vérité absolue, mais tenter honnêtement de m’en approcher et avoir légitimement le droit de faire part de cette démarche d’investigation.


Réponses

  1. […] this month, Grégoire Perra was finally acquitted in a French court after the Federation of Waldorf  Steiner Schools in France decided to […]

  2. A reblogué ceci sur La Vérité sur les écoles Steiner-Waldorf.

  3. Monsieur PERRA,
    C’est avec un vif intérêt que j’ai lu votre témoignage. Moi même ayant eu un parcours au sein de la société anthroposophique en tant que membre et également pendant 7 ans en exercice professionnel dans différentes institutions. J’ai souffert du peu d’ouverture d’esprit qui y reignait souvent. Il n’y avait parfois que la parole de R. Steiner qui prenait la place dans les débats. J’ai été parfois mal vu lorsque je tentais élargir le débat pour une réflexion plus centrée sur l’humanité en générale. On a vu en moi le méchant. Pourtant j’ai beaucoup respecter leur façon de voir. Vos écrits me permettent de sortir d’un sentiment confus de culpabilité. Ils sont très forts pour cela: Culpabiliser ceux qui se réclament d’une liberté d’expression. Merci
    J’ai également démissionné de toutes mes fonctions aux seins des institutions anthroposophique. Je connais aujourd’hui des personnes qui ont un esprit ouvert. C’est comme une renaissance.


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