Publié par : gperra | 31 août 2012

Une emprise et un endoctrinement presque indétectables

Une emprise et un endoctrinement presque indétectables

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Nous sommes réunis à la petite table d’un café parisien. Je m’étonne de ses traits, changés par les années, et lui des miens. Voilà presque vingt ans que nous ne nous étions pas revus. Passés les quelques minutes d’échanges sur nos situations familiales et professionnelles respectives, la conversation semble marquer un temps d’arrêt. Une certaine gêne semble s’être brusquement installée, que mon interlocuteur va finalement avoir le courage de surmonter :

– « Tu sais Grégoire, j’ai lu ton article paru sur le site de l’UNADFI il n’y a pas longtemps. Ça m’a fait beaucoup réfléchir… Mais je te le dis franchement, je n’ai pas l’impression d’avoir été endoctriné au cours de ma scolarité à Verrières-le-Buisson. Moi, je garde surtout un souvenir extraordinaire de nos professeurs. Des gens incroyables ! Tu te souviens d’untel ?! Et d’untel !? C’étaient des personnes hors du commun ! Par contre, que la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf te fasse un procès, c’est vraiment moche de leur part. Ils ont le droit de ne pas être d’accord avec ce que tu as écrit, mais il n’est pas normal qu’ils veuillent en interdire la publication ! »

Je regarde un long moment cet ancien camarade de classe sans rien dire. Je suis touché par sa sincérité et ne sais pas trop quoi lui répondre. Il a bien lu mon article, il a reconnu la véracité de chacun des éléments que je décris et l’authenticité de ma démarche, mais il semble incapable de percevoir le processus d’endoctrinement qui est le cœur de cet article. Ne découle-t-il pourtant pas logiquement des faits mentionnés ? Comment expliquer un tel aveuglement, chez une personne dont je connais pourtant l’intelligence et la sagacité, pour l’avoir fréquenté pendant des années ? Au bout d’un moment, je me décide à lui répondre :

– « Tu sais, un endoctrinement, ce n’est pas la même chose qu’un lavage de cerveau. On peut le définir par deux éléments : la transmission d’une doctrine et une emprise affective. Commençons par la question de l’emprise. Te souviens-tu comment notre professeur de classe nous serrait longuement la main chaque matin, en nous regardant droit dans les yeux, juste avant que nous n’entrions dans la classe, un par un ? Te souviens-tu également, lors de ton premier voyage de classe, en 3ème, qu’il venait voir chaque élève individuellement dans leurs lits pour leur faire ce drôle de rituel du « câlin réconfortant », pour les aider à surmonter leur appréhension de dormir pour la première fois loin de leurs familles ? Te souviens-tu également que, lors de chaque voyage de classe, il dormait avec nous dans le même dortoir ? »

– « Oui c’est vrai, quand j’y pense maintenant, ça fait bizarre ! m’interrompt-il. On était sans cesse intrigués par les mouvements de sa glotte quand il ronflait et on passait une partie de la nuit à l’observer dormir, ajoute-t-il, hilare. Mais ça c’était il y a trente ans, avant toutes les histoires de pédophilie, non ? Ils ne font plus ça dans les écoles Steiner-Waldorf aujourd’hui ?! »

– « A ma connaissance et d’après les quelques témoignages que j’ai pu recueillir, si ! lui répondis-je. Pendant les voyages de classe, certains professeurs s’installent dans les dortoirs avec les élèves. Pas à côté dans un espace à part, mais quelquefois au milieu d’eux. Pendant les siestes, dans certains jardins d’enfants Steiner-Waldorf, toujours d’après les témoignages qui me sont parvenus, les enfants doivent se déshabiller au point de n’être plus qu’en sous-vêtements, alors que dans les maternelles françaises il est strictement interdit qu’ils ôtent ne serait-ce que leurs pantalons. Certaines jardinières iraient même jusqu’à leur faire de courts massages en leur appliquant de l’huile Weleda sur la peau, puis leur feraient un bisou sur la joue avant qu’ils ne s’endorment. Par contre, tu as raison, le « câlin du soir », après certaines histoires dérangeantes survenues il y a quelques années, n’est plus accompli que par des femmes, par sécurité. Ceci dit, entre nous, ce n’est pas très prudent non plus. Car la pédophilie féminine, cela peut aussi exister. Mais selon moi, cela ne règle pas le problème de fond qui se cache derrière ce genre de pratique. En effet, ne crois-tu pas qu’on crée ainsi avec les élèves, par ce genre de gestes très intimes (les serrer dans ses bras jusque dans leurs lits !), un lien affectif de nature plus familial que professionnel ? »

– « Il est certain qu’une telle étreinte est plus le geste d’une mère ou d’un père que d’un professeur, me répond-t-il. Or l’affection paternelle ou maternelle, ça doit être la famille qui l’apporte, pas tes professeurs! Sinon on finit par tout mélanger. C’est dangereux de se substituer à la famille ! Mais en dehors de ce rituel, il n’y a pas d’autres pratiques de ce genre ? »

– « Tu ne te souviens pas, toi qui as fait le Jardin d’Enfants, comment tes jardinières te prenaient souvent sur leurs genoux ? Tu ne te rappelles pas, plus tard dans les petites classes, les fréquents gestes affectueux de nos professeurs ? Comment ils nous prenaient dans leurs bras, s’asseyaient à côté de nous en classe, tout en posant leurs bras autour de notre cou pour nous aider à écrire ou à dessiner ? »

– « Mais il ne s’agissait pas de quelque chose de systématique et d’organisé ?! me rétorque-t-il avec vivacité. Ce n’étaient que des gestes spontanés de professeurs attendris par leurs jeunes élèves ! »

– « Je ne crois pas, lui répondis-je. Quand j’ai fait ma formation à l’Institut Rudolf Steiner de Chatou, les futures jardinières d’enfant nous racontaient qu’on leur disaient souvent d’être très maternelles avec les enfants, d’avoir des gestes affectueux, de prendre les enfants sur leurs genoux, etc. Ce sont-là des consignes pédagogiques, pas des gestes spontanés. On leur répétait sans cesse que la jardinière doit être comme une maman pour les enfants qu’elle a en charge. Dans son passionnant ouvrage intitulé Le harcèlement moral, Marie-France Hirigoyen explique que l’emprise développée par les manipulateurs est comme une sorte d’hypnose pratiquée pour endormir la future victime. Or celle-ci passe à 80% par du langage non-verbal comme des gestes, des regards, etc., qui mettent peu à peu sous emprise. Dans l’établissement public où tu as mis ton fils, les professeurs se permettent-ils d’avoir de tels gestes spontanés ? »

– « Non, admet-il. Je trouverais plutôt suspect que mon fils revienne le soir en me racontant que son professeur l’a pris dans ses bras ou sur ses genoux. »

– « Alors pourquoi, d’après toi, de telles méthodes sont-elles encore préconisées par les formations pédagogiques Steiner-Waldorf, en dépit des risques que cela peut comporter ? »

– « Je reconnais que cette confusion des rôles peut être dangereuse, finit-il par me dire. Et maintenant que tu en parles, ça me rappelle que notre professeur de classe venait manger dans chaque famille au moins une fois par mois. Soit-disant parce que ça lui permettait de mieux connaître l’environnement de ses élèves. Mais c’était quand même gênant. Au début, je le vivais comme une intrusion dans notre intimité. Puis je me suis habitué. Au bout d’un moment, il était devenu un peu comme un oncle qui nous rendait visite régulièrement. »

– « Il n’y a pas que lui qui le faisait. C’est une pratique pédagogique de ces écoles. Et, comme tu dis, cela crée une profonde confusion entre ce qui est du domaine familial et ce qui est du domaine professionnel. Or, il est grave de chercher à se substituer aux parents. Assumer un tel rôle, c’est pour la vie. Sinon, on est dans le mensonge. »

– « Je comprends ce que tu veux dire, me dit-il. Par contre, je ne me souviens pas de tels gestes ou de rituels semblables après la 8ème classe. »

– « Tu as raison, lui répondis-je. Dans les Grandes Classes, c’est autre chose. Avec certains professeurs, ils ne s’agit plus vraiment de parents, mais plutôt de copains. Ou peut-être un peu des deux à la fois. Ne pas voir le problème que constitue le fait d’amener chez soi un groupe d’élèves pendant les heures de cours pour leur offrir un thé à domicile est assez grave. De même, aider une élève à faire ses inscriptions en l’accompagnant dans son propre véhicule faire la tournée des établissements. Ou en embaucher comme baby-sitters et femmes de ménages. Tout cela ne peut que produire une abolition des frontières institutionnelles et psychiques conduisant à des dérives regrettables, comme celles que je dénonce dans mon article paru sur le site de l’UNADFI. Bien sûr, ce genre de dérives n’est pas la norme dans les écoles Steiner-Waldorf. Mais l’effacement volontaire des repères va les rendre acceptables aux yeux de tous lorsqu’elles se produisent. Un homme construit les valeurs à partir desquelles il va agir d’après les comportements qu’il perçoit dans son entourage immédiat. Si la promiscuité est la norme qui l’entoure, il n’y verra aucun mal. Les cours sur la « nature humaine » dispensés dans la formation pédagogique des enseignants Steiner-Waldorf auraient gagné à aborder ces choses basiques de la vie, plutôt que d’entraîner les esprits dans des considérations métaphysiques incompréhensibles sur l’essence prénatale de la pensée ou celle post-mortem de la volonté. »

– « Je comprends mieux ce que tu veux dire, me répond-t-il. Mais selon toi, pourquoi font-ils ça ? Et pourquoi ne se décident-ils pas à changer ces modes de fonctionnement, alors que cela fait plus de 90 ans maintenant que ces écoles existent. Ils doivent bien savoir que ça génère automatiquement de graves problèmes ! »

– « Tu veux mon avis ? lui répondis-je. Tout simplement parce que cette abolition des frontières et cette confusion entre les domaines du familial et de l’enseignement est le moyen par excellence de produire une emprise affective. Au début de notre conversation, tu as témoigné de l’admiration que tu ressens encore pour M. ou Mme untels. Et là, franchement, tu m’as étonné ! Sérieusement, qu’est-ce que ces personnes avaient de si extraordinaire ? Qu’est-ce que tu leur trouves d’exceptionnel ? On peut certes apprécier des qualités ou déplorer des défauts chez nos anciens enseignants. Certains étaient très compétents, d’autres moins. Certains avaient des personnalités intéressantes, d’autres plutôt plates. Mais de là à les considérer comme des personnes formidables ! Tu ne crois pas qu’il y a un problème ? Comment se fait-il qu’aujourd’hui encore, après presque quarante ans, tu persistes à croire au caractère extraordinaire de tes anciens enseignants ? Je ne nie pas que nous ayons eu quelques enseignants dont certains possédaient de belles qualités, mais de là à les vénérer jusqu’à ta mort ! Donnes-moi, pour M. untel, une seule qualité qui permettrait de dire qu’il s’agissait d’un être d’exception ! »

– « J’ai beau réfléchir, je ne vois pas, admet-il honnêtement. »

– « On raconte que dans la première école Steiner-Waldorf, à Stuttgart, Rudolf Steiner rassemblait souvent les élèves en leur demandant : « Chers enfants, aimez-vous vos professeurs ? », attendant la clameur d’un grand « Oui! » collectif qui ne manquait jamais de se produire. Eh bien, vois-tu, l’erreur est là ! En tant qu’élèves, nous n’avons pas à aimer nos professeurs ! Personne ne devrait d’ailleurs se croire autorisé à poser une question aussi intime à des enfants dans le cadre scolaire. On doit certes respecter nos professeurs, mais qu’on les aime ou non, cela nous regarde ! Cette question de Rudolf Steiner était indécente. Posée à une collectivité, à un groupe d’élèves, elle devient même suspecte ! On a vraiment l’impression qu’il se prenait pour l’apôtre Jean disant chaque dimanche à la communauté d’Éphèse : « Petits enfants, aimez-vous les uns les autres ! » Dans les écoles publiques, les professeurs sont ce qu’ils sont, mais ils ne marquent pas aussi profondément que dans les écoles Steiner-Waldorf leurs élèves de leur personnalité et de leur subjectivité. Et c’est ce qui permet ensuite à ces élèves de devenir eux-mêmes. Car personne n’aura laissé sur eux son empreinte psychique indélébile. Il n’y a aucun besoin qu’une personne extraordinaire ne vienne nous marquer pour que nous puissions devenir nous-mêmes. Bien au contraire. Ce que nous sommes réellement est là. Mieux vaut lui laisser la place de grandir que de lui faire de l’ombre. Donner un cadre, poser des limites aux liens affectifs, est précisément ce qui va garantir la liberté d’autrui. Et l’épanouissement de sa vraie personnalité. La sienne, pas celle d’un autre. Autrement, on crée des situations psychiques d’emprise.

– « Je comprends ce que tu décris, me répond-t-il. Et pourtant, je n’arrive pas à aller dans le sens de tes critiques. Quelque chose au fond de moi m’en empêche. Chaque fois que je repense à mon ancienne école, je suis assailli par ce sentiment bizarre. C’est comme de la tristesse. Ou de la nostalgie. J’ai l’impression d’une perte irréparable. Parfois ce sentiment est si fort que je me mets à pleurer ! »

Et il est effectivement au bord des larmes. Je prends cette fois un temps assez long avant d’ajouter quoique ce soit. Je sais que nous venons de toucher l’un des éléments profonds du problème et que je dois lui laisser le temps d’aller au fond de ce sentiment, pour qu’il lui soit possible de le dépasser et de reconnaître ce qui se cache derrière :

– « L’emprise est une forme de séduction par laquelle un séducteur fait croire à l’ego d’un être humain qu’il n’existe que par la seule reconnaissance qu’il lui accorde. La personne a l’impression d’être exceptionnelle dans son regard. Elle croit aussi qu’elle sombrerait dans le néant sans ce dernier. Le séducteur peut créer cet état par la suppression des barrières entre les subjectivités, mais aussi en procurant à sa victime l’impression que lui seul l’a reconnaît en tant qu’être unique. Te souviens-tu des poèmes que notre professeur de cycle rédigeait dans les petites classes ? »

– « Oui, me répond-t-il. Chaque élève recevait le sien. Il se voulait une description poétique objective de notre personnalité profonde. Une année, l’un de nos camarades en a reçu un tellement valorisant qu’il nous le récitait encore dix ans plus tard. Il en est resté complètement bouleversé au point d’en devenir saoulant. »

– « C’est extrêmement valorisant que quelqu’un prenne la peine d’écrire un poème à ton sujet, lui répondis-je. Qui offre normalement de tels poèmes, sinon les amoureux éperdus ? Cela explique le sentiment diffus qu’expriment souvent d’anciens élèves de ces écoles. Ils ont en effet l’impression d’y avoir été perçus comme jamais plus ils ne seront perçus ailleurs. Car ce n’est pas que physiquement, comme au jardin d’enfant, mais aussi psychologiquement que les enseignants de ces écoles incitent les élèves à se « mettre à nu ». Notamment en leur demandant à diverses occasions de raconter leur pensées intimes, comme lors de la semaine thématique (ou de la « période ») sur Perceval, où l’enseignant demande parfois aux élèves de lui raconter ce qui s’est passé en eux à l’âge de 9 ans, lors du « passage du Rubicond », ou lors de l’entretien de passage en 9ème classe. C’est pourquoi quelque chose en eux conserve un souvenir nostalgique d’un temps où leurs âmes auraient été vues dans leur vérité et leur nudité complètes par leurs professeurs. Les enseignants Steiner-Waldorf font d’ailleurs la même sorte de demande aux parents qui viennent inscrire leurs enfants au jardin d’enfant, en leur demandant de raconter des choses intimes concernant leur vie de couple ou leur désir d’enfant lorsqu’ils ont conçu ceux que les jardinières vont à présent prendre en charge. Bien sûr, tout cela est toujours présenté comme relevant d’un intérêt purement professionnel : savoir ces éléments permettrait aux enseignants Steiner-Waldorf de se faire une idée de la nature spirituelle des enfants qu’on leur confie. En réalité, ce processus de dévoilement a surtout pour effet que certains parents feront facilement et rapidement une confiance inconditionnelle aux enseignants et à l’école. L’emprise s’exercera ainsi sur toute la famille ! En principe, lorsque un tel dévoilement de l’être intime de l’autre se produit – ce qui est une expérience assez rare – cela implique un lien dans la durée. Celui que j’ai perçu dans sa vérité restera pour longtemps un être qui compte pour moi. Aussi les élèves tombent-ils des nues en s’apercevant parfois que leurs professeurs n’ont en fait pas perçu grand chose de ce qu’ils sont vraiment et se sont plutôt évertués à donner cette impression qu’autre chose. Cela peut créer chez eux une terrible désillusion! Lorsque certains élèves finissent par se rendre compte que leurs professeurs Steiner-Waldorf n’ont finalement pas grand chose à faire de ce qu’ils deviennent, ni le soucis de qui ils sont vraiment, ils commencent à réaliser que quelque chose n’est pas tout-à-fait net dans ce qu’ils ont vécu. Cela peut devenir pour eux très douloureux, comme certains témoignages me l’ont confirmé. Mais ils auront en fait de la chance d’avoir pu réaliser cette terrible supercherie, comparé aux autres élèves qui continueront de ne se douter de rien et à subir ainsi l’emprise psychique qui en découle. »

Son regard devient songeur et plonge dans le café devenu froid de sa tasse. Quand il en relève ses yeux, il finit par me dire :

– « Je ne les connais pas aussi bien que toi, car je n’ai pas trop eu l’occasion de les fréquenter, mais j’ai l’impression que les anthroposophes ne sont pas à la page avec des notions comme celle de l’affectif, du sentimental ou du pulsionnel, n’est-ce pas ? La psychanalyse n’est pas vraiment à l’honneur dans leurs milieux. »

– « Ils sont en effet loin d’être au clair sur la question des pulsions de l’inconscient. Lors de ma formation à l’Institut Rudolf Steiner de Chatou, l’un de nos formateurs nous choquait en utilisant systématiquement des images à connotation sexuelle dès lors qu’il parlait des processus d’apprentissage des enfants. Il parlait par exemple de « féconder leurs esprits », de « connaître » au sens biblique de « pénétrer », etc. Son discours était à ce point chargé de ce genre de métaphores que cela en devenait obscène. J’ai longtemps cru qu’il s’agissait de projections personnelles d’un esprit mal tourné, avant de m’apercevoir que Rudolf Steiner lui-même, dans ses écrits (en particulier un cycle de conférences fait en Hollande en 1924), ne cesse d’établir un parallèle entre la sexualité et la connaissance. Pour te résumer son propos, l’acte de connaître et l’acte sexuel procéderaient selon lui de la même énergie originelle. Mais tu te rends compte que cela veut dire qu’enseigner et faire l’amour, c’était un peu la même chose pour Steiner ?! »

– « Pas étonnant que ton formateur parlait comme il le faisait ! ajoute-t-il. Je crois que je commence à voir ce que tu veux définir en tant qu’emprise affective. Bon, admettons. Mais dans ton article, tu parles de transmission de l’anthroposophie aux élèves. Moi, je ne suis pas devenu un anthroposophe et je ne connais pas trop la doctrine de Steiner ! »

– « Qui la connaît ? lui répondis-je. Peut-être pas même Steiner lui-même ! Elle est tellement immense, complexe, confuse. Elle prétend expliquer l’univers dans son ensemble et dans ses moindres détails. Si même les anthroposophes sont incapables d’embrasser toute entière une telle doctrine ésotérique, des élèves adolescents ne le pourront pas non plus. En revanche, je dis qu’il y a un certain nombre de prémisses anthroposophiques auxquelles on nous a rendu sensibles ! Notre esprit a été rendu perméable à certaines conceptions, ou à certaines références, de manière à ce qu’il leur fasse bon accueil éventuellement plus tard. Elles sont les piliers de la doctrine. »

– « Lesquelles ? » me demande-t-il interloqué.

– « Elles sont nombreuses et peuvent concerner tous les domaines, lui précisais-je. Inutile de te parler de la « période » de Perceval, ou de celle sur le Faust, car là c’est vraiment très clair. »

– « Oui, admet-t-il. J’ai bien lu ce que tu as écris à ce sujet dans ton article et je ne peux qu’être d’accord avec toi. Il s’agissait de cours d’anthroposophie sous couvert d’interprétations libres de ces œuvres. Mais dans les autres matières et dans les autres classes, qu’en est-il ? »

– « C’est une pratique plus diffuse, mais tout aussi présente, lui répondis-je. Par exemple, dans le domaine scientifique, on enseigne de façon subliminale qu’il n’y a pas de nerfs moteurs, mais uniquement des nerfs sensitifs, que le cœur n’est pas une pompe, que l’évolution des espèces animales peut être mise en relation avec les signes du Zodiac, que l’espace des confins du cosmos n’est pas infini, etc. »

– « J’avoue que les cours de sciences ne me passionnaient pas trop, me dit-il. Pour ce dernier truc, le cosmos qui ne serait pas infini, tu fais allusion à quel cours ? Celui d’astronomie ? »

– « Non, à la géométrie projective enseignée en 12ème classe. »

– « Je me souviens ! me dit-il. On a passé des heures à essayer de se représenter comment un point, formé par le croisement de deux droites, se situerait à la fois à droite et à gauche lorsque les droites deviendraient parallèles. Comme si le point, parti à l’infini à droite, revenait à l’infini par la gauche. Je ne comprenais pas pourquoi on y avait passé autant de temps. C’est vrai que le professeur avait conclu cet exercice en nous disant qu’il pouvait être révélateur d’une autre conception de l’espace-temps, différente des représentations traditionnelles. »

– « C’est ce que j’appellerais un préformatage, lui dis-je. Et si tu lis Le monde éthérique, paru aux Éditions Triades, tu apprendras que, pour Steiner, l’espace cosmique des étoiles n’appartient pas au même espace-temps que le notre. »

– « Tu aurais un autre exemple ? me demande-t-il. Je ne vois pas bien ce que tu veux dire. »

– « Si tu veux, lui répondis-je. Tu te souviens quand nous avons fait la « période » sur les animaux en 4ème classe ? »

– « Non pas vraiment. »

– « Évidement, lui répondis-je. Qui se souvient dans son intégralité d’un seul des cours qu’il a suivi durant sa scolarité, à part peut-être quelques cours marquants au lycée ? C’est ce qui rend difficilement détectable de telles méthodes. Pour moi, c’est plus facile. Pas seulement parce que j’ai une très bonne mémoire, mais aussi parce qu’en tant qu’enseignant, je suis constamment amené à me rappeler des cours que j’ai eu, si je veux comprendre mes élèves. Et puis, au cours de ma formation à l’Institut Rudolf Steiner de Chatou, certains souvenirs ont été réactivés. Les modèles de cours qu’on nous y présentait était en effet exactement les mêmes que les cours que j’avais suivi en tant qu’élève à Verrières-le-Buisson. Oui, exactement les mêmes ! Comme si cet enseignement n’avait pas évolué depuis quarante ans. D’ailleurs, quand tu lis Méthode et pratique de l’éducation, tu t’aperçois que certains cours, comme le premier cours de la 1ère classe sur la courbe et la droite, sont quasiment exposés minute par minute ! »

– « Et donc, ce cours sur les animaux en 4ème ? »

– « Pardon, je perdais le fil, lui répondis-je. Notre professeur avait donc commencé, pendant un temps, par nous présenter trois animaux : le lion, la vache et l’aigle. »

– « Oui, je me souviens, me dit-il. Il nous avait décrit longuement le comportement de chacun. Puis il les avait dessiné au tableau. Il dessinait vraiment bien d’ailleurs.

– « C’est vrai, admis-je. Ensuite, tu te souviens qu’il nous a parlé de l’homme et de ses trois grandes parties : la tête, le tronc et les membres. Après cela, il a dessiné celles-ci sur une autre partie du tableau. Puis, un matin, il a posé une question à toute la classe : « Si vous deviez mettre en relation chacun des trois animaux à l’une des trois parties du corps de l’homme, lesquels seraient les plus semblables ? » Au début, nous avions eu du mal à comprendre la question. Puis, toute la classe s’était mise à chercher. On a fait plein de propositions. Chacun apportait des arguments différents. L’un voulait mettre la tête en relation avec le lion, à cause de la crinière. L’autre l’aigle avec le tronc, à cause de ses grandes ailes rappelant les bras, etc. Mais, à chaque fois, notre professeur montrait des signes que la réponse ne le satisfaisait pas complètement. Jusqu’à ce que quelqu’un fasse la proposition de mettre en relation l’aigle avec la tête, le lion avec la poitrine et la vache avec les membres. »

– « Et alors ? me dit-il. C’est un parallèle possible. Je ne vois pas quel mal il y aurait à le faire ! »

– « Mais sais-tu qu’il s’agit là d’une idée typiquement anthroposophique ? lui répondis-je. Rudolf Steiner met en relation exactement de cette manière chacune de ces parties du corps humain avec ces animaux. Tu peux le lire dans son livre édité aux Éditions Triades : L’homme dans ses rapports avec les animaux et les esprits de éléments. Et si, un jour, tu t’intéresses de façon plus approfondie à l’anthroposophie, tu apprendras en lisant Le Moi, son origine spirituelle, son évolution, son environnement, qu’il y avait selon Steiner, dans un temps très reculé, quatre races humaines : la race des hommes-lions, celle des hommes-taureaux, celle des hommes-aigles et enfin celle des hommes proprement dit (sixième conférence). Dans d’autres écrits, reprenant à son compte une ancienne tradition de l’ésotérisme chrétien, il met aussi en relation ces quatre « archétypes » avec les quatre évangélistes : le Lion pour Saint Marc, l’Aigle pour Saint Jean, le Taureau pour Saint Luc et l’Homme pour Saint Mathieu. »

– « Ah oui, là, c’est de l’anthroposophie ! me dit-il. »

– « C’est exactement ce que je dis ! ajoutais-je. Ils sont prudents. Ils ne vont pas enseigner directement ce genre de doctrines complexes aux élèves. Mais ils vont les y préparer. Ils ne vont pas non plus leur dire de but en blanc : « La conception actuelle de l’espace et du temps est complètement fausse, voilà la manière anthroposophique juste dont il faut se représenter les choses. Et la géométrie projective est pour cela la clef ! » Il ne vont pas dire : « La théorie darwinienne de l’évolution est une erreur ! C’est en réalité le singe qui descend de l’homme et non l’inverse ! » Mais il vont sous-entendre que les théories actuelles ne sont peut-être pas aussi certaines qu’elles n’y paraissent. Puis ils vont proposer, à titre d’hypothèse, une théorie proche des conceptions anthroposophiques. Ils n’auront pas enseigné directement de l’anthroposophie aux élèves. Mais ils en auront facilité chez eux sa réception ultérieure dans un grand nombre de domaines. Parfois, ils feront jouer l’interdisciplinarité pour convaincre les élèves. Par exemple, après que le professeur de SVT aura émis des doutes sur la théorie darwinienne de l’évolution, le professeur d’Arts Plastiques prendra le relais en proposant aux élèves l’exercice consistant à modeler la forme d’un primate à partir d’une silhouette humaine. Il insistera bien en disant que la forme du corps du singe ressemble à une forme humaine voûtée et recroquevillée par les forces de la pesanteur. Il rendra ainsi perméable ses élèves à une idée de Steiner selon laquelle le singe descend de l’homme et non l’inverse. Cette thèse est développée dans ses moindres détails dans un livre d’un continuateurs de Rudolf Steiner, Jos Verhulst, intitulé L’Homme, premier-né de l’Évolution (Ed. Triades). »

– « Tu aurais un autre exemple encore ? » me demande-t-il.

– « Oui. Tu te souviens quand nous avons abordé en classe la question des races humaines ? »

– « En cinquième classe ? »

– « Il me semble, lui dis-je. Notre professeur nous avait tout d’abord longuement parlé des quatre races humaines : les Indiens d’Amérique, les Européens, les Asiatiques et les Africains. Puis il avait dessiné pour chacune un visage expressif. Ensuite, il avait laissé cela de côté, pour passer à la question des quatre âges de la vie d’un homme : l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse. Dans une partie libre du tableau, il avait également dessiné schématiquement ces quatre étapes de l’existence. Un jour, il a posé une question à toute la classe : « Si vous deviez établir un parallèle entre les quatre races humaines et les quatre âges de la vie, quel serait-il ? » Là encore, toute la classe s’est mise à chercher. Les uns proposaient certains liens, les autres s’essayaient à d’autres pistes. Il y avait une véritable émulation ! C’était à qui trouverait le premier la correspondance juste. A la fin, comme par hasard, nous sommes arrivés à la conclusion que la bonne façon de relier ces huit éléments était de mettre en relation l’Africain avec l’enfance, l’Asiatique avec l’adolescence, l’Européen avec l’âge adulte et enfin l’Indien d’Amérique avec la vieillesse. »

– « Mais c’est du racisme ! s’exclame-t-il soudain. Ou ça y ressemble ! »

– « C’est exactement ce que se sont dit les inspecteurs des Pays-Bas qui ont trouvé dans les cahiers de textes des élèves  le devoir suivant, dicté par leur professeur de classe : « Expliquez pourquoi l’Africain a les lèvres charnues et en est resté au stade de l’enfance. » Tout s’explique quand on lit dans l’ouvrage de Steiner intitulé Âme des peuples que : « L’africain est infantile, l’asiatique juvénile, l’européen (est) mature. Cela correspond tout bonnement à une loi. (…) On pourra certes nous objecter que dans ce cas, l’Européen est avantagé par rapport aux races noires et jaunes ; mais en réalité aucune race n’est défavorisée, du fait que tous les hommes s’incarnent dans les différentes races au cours des vies successives  » (p. 77). L’anthroposophie caractérise de cette manière chacune des races, affirmant que les Noirs ont une vie essentiellement impulsive, car ils penseraient avec leur cerveau arrière, les Asiatiques une vie sentimentale, car ils penseraient avec leur cerveau central, et les Aryens une véritable vie de la pensée, parce qu’ils se serviraient quant à eux principalement de leur cerveau frontal. »

– « Nous aurions donc bien de la chance, me coupe-t-il ironiquement. On nous aurait donc en quelque sorte conditionnés à voir chaque races avec des concepts de l’anthroposophie ?! Et on nous aurait même inculqué une certaine vision de la supériorité mentale de la race aryenne, sans même que nous ne nous en soyons rendus compte, me dit-il, effondré ? »

– « Pas tout-à-fait, lui dis-je. On nous a préparé à les recevoir plus tard. Tu te souviens de cette élève de notre classe qui avait choisi pour son chef-d’œuvre (travail de fin de cycle scolaire en 12ème classe) de réaliser des masques en cuir correspondant aux quatre races, et du discours qu’elle a tenu lors de sa présentation publique ? »

– « Oui, je me souviens, dit-il. Elle avait en effet choqué toute l’assistance en tenant des propos comme ceux de Steiner que tu viens de citer. Elle ne se rendait absolument pas compte du caractère problématique de ce qu’elle disait la pauvre. »

– « Parce qu’elle ne faisait que répéter des choses qu’elle avait entendues et qu’on lui avait présentées comme des évidences pendant sa scolarité et dans l’entourage de sa famille anthroposophe. Ce qui rend la chose particulièrement difficile à identifier, c’est qu’à aucun moment notre professeur n’a jamais exprimé explicitement lui-même une telle doctrine. Il nous a donné l’impression de la découvrir par nous-même. En faisant chercher toute la classe, mais en orientant ce travail collectif vers les conclusions qu’il avait en vue, il nous a donné l’impression qu’elles venaient de nous. Si je me référais maintenant à Platon, je dirais qu’il a implanté en nous de « fausses réminiscences ».

– « Des fausses réminiscences ?! »

– « Oui. Je veux parler d’idées qui ont été implantées en nous durant notre enfance et qui referont surface plus tard si elles sont réactivées de la manière appropriée. »

– « Un peu comme dans le film Inception ? » me demande-t-il, goguenard.

– « Si tu veux, lui répondis-je sérieusement. Quand tu lis Nature humaine, tu t’aperçois que Rudolf Steiner était très au fait des processus par lesquels une idée, d’abord consciente, tombe progressivement dans l’inconscient. Ou comment une idée inconsciente peut refaire surface et devenir consciente. Il existe deux schémas très explicites aux pages 120 et surtout 123 de l’ouvrage. C’est là son génie. Mais c’est aussi la base de la manipulation mentale qui est mise en pratique dans ces écoles. On se sert de cette connaissance des processus reliant la pensée, le sentiment et la volonté pour rendre perméables les élèves à certaines idées. C’est cela que j’appelle de fausses réminiscences. Platon affirmait en effet que l’âme avait des réminiscences, c’est-à-dire des moments où remontaient en elle les souvenirs des vérités éternelles qu’elle avait connue avant de naître. En fait, il ne s’agissait pas tant d’une théorie mystique que d’une allégorie concernant le processus de la connaissance. Cet auteur antique voulait dire que ce que nous saisissons vraiment, nous avons l’impression que cela vient de nous-même ! Celui qui a vraiment compris quelque chose en réfléchissant par lui-même a toujours l’impression que l’idée vient du fond de son être, et non de l’extérieur. Les pédagogues anthroposophes imitent ce processus très intime de l’acte de connaissance en implantant dans l’inconscient des élèves certaines idées anthroposophiques, qui pourront remonter à la conscience ultérieurement. D’anciens élèves devenus anthroposophes ont parfois l’impression, lorsqu’ils lisent du Steiner, que les idées du Maître étaient en eux depuis toujours. Serge Prokofieff décrit cette étrange impression dans l’un de ses ouvrages. Ils croient alors à une réminiscence au sens platonicien du terme. En réalité, ces idées ont été mises en eux à un moment précis de leurs vies pour être réactivées plus tard. Effectivement, ceux qui continuent à fréquenter les milieux anthroposophiques, ou ceux qui reviennent tout simplement dans leur ancienne école à l’occasion d’une kermesse, finiront bien par tomber à un moment ou un autre sur des idées de Steiner. »

– « Par exemple en passant devant la « librairie anthroposophique » au « Marché de Noël » ? me demande-t-il. »

– « Ou par d’autres biais, lui répondis-je. Le milieu anthroposophique est vaste et comporte de nombreux relais. Les anciens élèves des écoles Steiner-Waldorf ont en eux des quantités d’idées dormantes qui sont autant de prémisses de l’anthroposophie. Parfois elles dormiront dans leurs intériorités toute la vie durant, parfois les circonstances ou la nature de la personne permettront de les éveiller. Dans le deuxième cas, elles passeront de la forme intuitive volontaire à la connaissance imagée. Autrement dit, les intuitions deviendront des représentations. Ça ne marche pas à tout les coups bien sûr. Il y a aussi en chacun de nous, fort heureusement, des forces de résistance à ce genre de manipulations. Celles-ci sont souvent inconscientes, mais peuvent constituer une puissante opposition. Demandes-toi, par exemple, pourquoi tu n’as pas mis ton fils dans une école Steiner-Waldorf, malgré toute la sympathie que tu as encore aujourd’hui pour ton ancienne école ? Au fond de toi, tu sais bien que ce n’est pas seulement une question financière, non ? »

– « Peut-être, me dit-il pensivement. J’ai souvent envisagé de l’y mettre pourtant, mais à la fin quelque chose m’arrêtait et ça ne se faisait pas. Et puis ma femme n’était pas trop pour non plus. Mais, d’après toi, pourquoi Steiner aurait-il mis en place un tel système ? Pourquoi cette manipulation des esprits vers l’anthroposophie ? »

– Tout simplement parce que, dans sa conception des choses, un homme ne peut pas accomplir sa destinée avec des idées matérialistes, lui répondis-je. Un homme n’est pas humain s’il ne connaît pas le divin. Il le dit d’ailleurs clairement au début de Théosophie. Je le cite : « On ne peut pas être homme au plein sens du mot si l’on n’a pas d’une façon ou d’une autre approché l’entité et la destination de l’homme que dévoile le savoir du suprasensible » (Ed. Novalis, page 27). Autrement dit : « Personne ne peut être vraiment un homme sans posséder certaines vérités anthroposophiques ! ». Il le dit aussi dans les Conseils aux professeurs de la première école de Stuttgart : « Ne pas reconnaître Dieu est une maladie » (page 124).

– « Et s’il avait raison ?! » me demande-t-il en me fixant avec intensité.

– « Je ne le crois pas, lui répondis-je. Selon moi, penser de manière libre est plus important pour ton humanité que les idées que tu as. Mieux vaut penser par toi-même des erreurs que d’avoir dans le crâne des vérités qu’on y aurait mise à ton insu ! Comment peut-on dire d’une personne qui a des convictions athées qu’elle est malade ?! Quel manque de respect pour la liberté de conscience des individus ! Ce qui compte est avant tout d’être sincère avec soi-même. Et de réfléchir ! Voilà la dignité véritable de l’individu. C’est à elle que porte atteinte la pédagogie Steiner-Waldorf, avec les pratiques qui sont les siennes ! »

– « Ce que tu dis là est valable pour des adultes, me rétorque-t-il. Mais pour des enfants ? N’est-il pas mieux pour eux d’avoir certaines idées plus spirituelles ? Puisque de toutes façons l’enfant ne choisit pas vraiment la conception du monde à laquelle il adhère, mais prends celle qu’on lui donne, où est le mal à lui inculquer une vision anthroposophique de l’existence ? »

– « Le mal consiste à ne pas donner aux enfants les moyens de prendre conscience plus tard de la relativité de ces idées, lui répondis-je. Agir ainsi par suggestions est une violation de leurs consciences. Conditionner leurs esprits a accueillir favorablement une conception du monde si particulière est une atteinte à leur libre-arbitre. Cela détruit leur future faculté de pensée d’adultes. De plus, on les place en situation d’opposition inconsciente aux idées et aux valeurs du reste de la société. Puis on triche avec les exigences du programme de l’Éducation Nationale, dont par ailleurs on accepte les subventions. »

– « Les enseignants Steiner-Waldorf seraient donc coupables de ces pratiques ? me demande-t-il. »

– « La raison pour laquelle ils portent, tout autant que le fondateur de cette pédagogie, la responsabilité du système en place, c’est leur volonté systématique d’occulter les problèmes qu’il pose chaque fois que ceux-ci se présentent, lui répondis-je. Ils savent que leurs écoles sont en contradiction avec de nombreuses règles et valeurs essentielles de la société. Mais, au lieu de gérer ces contradictions honnêtement, ils font le choix non seulement de les dissimuler tant qu’ils le peuvent, mais de ne même plus les penser. Ils ressemblent en cela à ces voleurs qui ne se posent plus la question de la légitimité du vol. Si la société a des règles, bonnes ou mauvaises, c’est parce qu’un être humain a besoin de se référer à ces dernières. Qu’il soit pour ou contre, il se situe par rapport à elles. S’il en enfreint certaines, cela ne doit pas lui laisser la conscience tranquille ! Mais les pédagogues anthroposophes persévèrent dans une situation d’oblitération de la pensée lorsqu’il s’agit pour eux de se situer moralement vis-à-vis des règles et des valeurs de la société dans lesquelles ils vivent, et que trop souvent ils enfreignent. Et ce depuis 90 ans ! Bien sûr, cette responsabilité augmente dès lors qu’augmente aussi la conscience des problèmes et que se multiplient leurs occultations volontaires. C’est pourquoi un membre de la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf porte une part de responsabilité bien plus importante qu’un simple professeur de classe qui s’efforce de faire de son mieux là où il se trouve. En effet, les moyens à disposition du premier pour prendre conscience de l’étendue des problèmes sont bien plus nombreux que pour le dernier. Mais au fond, tout le monde est coupable. Car tous, à un moment ou un autre de leur vie, ont choisi de fermer les yeux. Sinon, ils seraient partis, ou du moins se seraient éloignés. Parfois, certains pensent et disent des choses. Mais ils décident ensuite de se taire, au nom de l’intérêt de la communauté. Or c’est bien cela qui caractérise une dérive sectaire : l’impossibilité pour un individu de s’y positionner en son âme et conscience ! Certains savent que tricher continuellement avec les règles de la société dans laquelle ils vivent pour dissimuler ce qu’ils sont n’est pas une solution. Même à la Fédération, il s’en trouve quelques-uns pour penser ainsi. Il suffit de lire le sous-texte de leur « recherche-action », publiée il y a quelques années, pour y déceler un cri sourd, un appel désespéré au changement de mentalité adressé aux pédagogues anthroposophes de France pour éviter la catastrophe qui déjà s’annonçait. Mais au lieu d’assumer pleinement des conclusions qui leur auraient faire perdre leurs postes, ces hauts dirigeants ont choisi de poursuivre mon témoignage en justice une fois la catastrophe advenue… Un jour pourtant, dans ce monde ou dans l’autre, ne devront-ils pas comme nous tous se regarder dans une glace ? »

Je marque un temps avant d’ajouter :

– « Il y a aussi un grave problème à sacraliser ou diviniser une institution. Pour Steiner, l’école et la pédagogie qu’il a fondées sont des émanations directes du monde spirituel, de véritables incarnations de l’être céleste de l’anthroposophie, un pur don des dieux. Dans l’ouvrage intitulé Pour approfondir la pédagogie Waldorf, il remercie « les Esprits bienveillants qui ont inspiré à notre ami M. Molt la généreuse pensée de fonder l’École Waldorf » (page 48). Autrement dit, la fondation de cette pédagogie découle pour lui d’une action divine. C’est ainsi que le vivent aussi les pédagogues anthroposophes. Steiner est pour eux le Prophète d’une Révélation pédagogique ! Leurs institutions scolaires réalisent donc la présence du divin sur la Terre. Mais dès lors qu’il faudra choisir entre les enfants et la réputation de l’école, ou sa survie, la tentation ne sera-t-elle pas trop grande de tout sacrifier au profit d’une institution perçue comme sacrée ? Ne prendra-t-on pas délibérément le risque de mettre en danger les enfants pour ne pas nuire à l’École, si le choix venait à se présenter ? »

– « Ça fait froid dans le dos ! me dit-il. En discutant avec toi, on réalise à quel point il s’agit d’un système organisé et profondément pernicieux. On a l’impression que se produit une sorte de corruption morale profonde des êtres qui s’approchent de ces gens et de cette pédagogie. Je ne suis pas sûr d’avoir envie de vivre avec l’idée que j’aurais passé ma scolarité au contact d’un tel phénomène. Je crois que je préfère me concentrer sur les bons souvenirs que j’ai de mon école et laisser le reste de côté. Toi par contre, je sais que tu ne le feras pas. Tu te souviens qu’en 10ème classe, notre professeur de Français t’avait appelé : « Le penseur de la classe » ? Tu n’as pas trop changé à ce que je vois ! »

– « Toi non plus ! » lui répondis-je, à la fois attristé et amusé. »

Je songe alors brièvement à cette professeur de Français, compétente, honnête et motivée qui, par son soucis de faire de vrais cours à ses élèves et de leur transmettre son amour de la littérature, m’avait effectivement insufflé le goût des lettres et de la réflexion. Pendant quatre ans, depuis mon arrivée à Verrières-le-Buisson, j’avais eu l’impression de dormir intellectuellement. Ses cours furent une sorte de puissant éveil à celui que je devais devenir. Je réalise soudain que, malgré sa sincérité et son ouverture au monde d’aujourd’hui – bien rare chez les pédagogues anthroposophes que j’ai rencontré – il est quasiment exclue qu’elle soit en mesure de percevoir mes écrits autrement que comme une grave trahison. En dépit des souffrances continuelles qu’elle a dû endurer dans ce milieu pour demeurer elle-même et faire ses propres choix de vie, laissant finalement sa santé dans le combat, il est fort peu probable qu’elle aura assez de lucidité pour considérer l’authenticité de mon témoignage. L’anthroposophie ayant été pour elle une sorte de révélation religieuse à l’âge de 16 ans, une « rencontre » comme le dise les anthroposophes pour éviter de parler de conversion, comment lui serait-il possible de remettre en question ce qui a fait le fil directeur de toute son existence et l’engagement de toute une vie ?

En anglais dans le texte :

https://sites.google.com/site/waldorfwatch/mistreatment

http://www.steinermentary.com/SM/France-Indoctrination.html

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Une emprise et un endoctrinement presque indétectables de Grégoire Perra est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 France.
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Réponses

  1. […] I’ve often thought about this, about things like these, this kind of impact and influence; Grégoire Perra writes: […]

  2. A reblogué ceci sur La Vérité sur les écoles Steiner-Waldorf.

  3. Un seul mot, merci Monsieur Perra, a travers votre témoignage vous confirmez tout ce que je redoutais ….


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