Publié par : gperra | 11 août 2012

Une oeuvre qui rend fou. Les flashs psycho-spirituels provoqués par les écrits de Rudolf Steiner

Une œuvre qui rend fou

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Les flashs psycho-spirituels provoqués par les écrits de Rudolf Steiner

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L’une des questions les plus délicates restant à examiner au sujet de l’anthroposophie est la raison pour laquelle de nombreuses personnes y croient et continuent d’y croire, en dépit de tout ce qui a été dit et sera dit à son sujet. Quel est l’élément qui, dans cette œuvre, provoque une adhésion telle qu’elle a pu engendrer ce groupe humain, les anthroposophes, avec ses différents cercles et ses différentes institutions ? On peut certes évoquer des facteurs comme le goût de notre époque pour le spirituel, le surnaturel, le développement personnel, etc. On peut penser à l’expansion galopante des phénomènes sectaires, des églises évangéliques ou autres, etc. Certes, notre époque ne semble pas avoir le goût de l’exercice de la raison, ni accorder de valeur à la conduite libre et raisonnable de sa propre existence. Cependant, nombreuses sont les personnes qui, dans les cercles de l’anthroposophie, ne sont pas des « idiots » (du moins au départ). L’anthroposophie ne fait pas qu’attirer à elle les esprits faibles qui auraient de toute façon eu besoin d’une religion pour exister. Elle intéresse également des personnalités intelligentes, cultivées, qui n’ont pas fait ce choix par petitesse d’esprit, mais que quelque chose a véritablement convaincu, fasciné, émerveillé dans l’œuvre de Rudolf Steiner. On pourrait penser au caractère totalisant de sa doctrine. On pourrait considérer son type d’approche tentant de relier science et religion, à l’époque d’une séparation radicale entre ces deux domaines. On pourrait aussi se dire qu’on peut trouver dans cette œuvre une ultime tentative de légitimation de l’idée de supériorité de la race blanche occidentale (que Steiner appelait les Aryens quand il était théosophe, avant de devenir plus prudent dans ses appellations ultérieures) par le biais d’une conception spiritualiste, avant que la confrontation aux autres cultures des autres continents ne vienne apporter une saine relativisation générale de ce genre de notions. On pourrait encore y voir encore une manière de s’opposer à tout le mouvement socialiste naissant qui proposait un changement du monde et des institutions basé sur la doctrine matérialiste, par la proposition inverse d’une transformation radicale de la société fondée sur le spiritualisme. Ces éléments ne sont certes pas à négliger.

Cependant, il y a selon moi dans l’œuvre de Steiner autre chose, un phénomène particulier provoqué par sa lecture : les flashs psycho-spirituels. C’est ce phénomène que je voudrais ici tenter de décrire. En effet, mon expérience personnelle de la lecture de cet auteur et de nombreuses discussions pendant des années avec d’autres anthroposophes m’ont amenés à identifier un phénomène psychique très particulier. Il s’agit de sortes d’états seconds très brefs qui ont lieu à la lecture des ouvrages de Steiner. Ces états seconds consistent en une impression de compréhension d’une idée. Mais cette compréhension n’est pas purement intellectuelle. Elle se présente comme un vécu psychique. Dans un langage mystique, on pourrait parler d’illuminations. En effet, la métaphore de la lumière a quelque chose de juste. Car la compréhension dont il est question lors de cette saisie des idées de Steiner s’apparente davantage à une sensation qu’à une réflexion. Soudain, on est saisi par une puissante impression de comprendre quelque chose produisant une sorte de décharge psychique. On vit l’impression d’un contenu de pensée d’une hauteur et d’une portée très particulière, qu’on n’avait peut-être jamais approché dans notre vie auparavant. Ce moment est très fugitif, mais il est marquant. On se sent comme subjugué brièvement par cette compréhension, avant qu’elle ne disparaisse. Il semble qu’un bref instant, nous n’ayons pas fait qu’assimiler un contenu intellectuel comme on le fait d’habitude, mais que nous ayons touché à l‘être de quelque chose. L’idée se met un moment à avoir une sorte de présence, voire de vie propre. Steiner était très conscient de cet état particulier de la pensée, qu’il devait probablement connaître fréquemment. Dans la Philosophie de la Liberté, il en parle même tout à fait ouvertement :

« Il semble étrange de vouloir saisir par la pensée l’essence du réel. Pourtant, si l’on parvient à vivre vraiment dans la pensée, on peut accéder à sa richesse intérieure et faire l’expérience à la fois du calme et de la mobilité qui caractérisent la vie de la pensée. A cela, l’effusion du sentiment ou le spectacle du monde de la volonté ne se comparent même pas, et on n’est guère tenté de les placer au-dessus de la pensée. » (p. 137, EAR)

Rudolf Steiner était donc un penseur qui était capable de plonger entièrement et apparemment durablement dans cette « vie des idées » à laquelle il fait allusion dans cette œuvre de jeunesse. Les anthroposophes s’exclameront aussitôt que c’est bien là la force et le génie de cet homme. Qu’il ait su dépasser le caractère intellectuel du contenu des idées pour plonger dans l’être vivant de celles-ci serait la grande performance de ce penseur. Il serait l’explorateur de la pensée pure, le découvreur du nouveau continent du monde de l’esprit. Toutefois, si on observe attentivement de tels moments psychiques et qu’on examine leurs effets dans la durée sur l’être humain, la chose semble plus problématique. En effet, on s’aperçoit alors que ces moments de saisie de la « vie des idées » ne procure en définitive que des souvenirs de sensations de compréhension, mais que rien de durable ne reste au niveau du contenu de compréhension. On a bien eu l’impression de toucher du doigt un concept sublime, élevé, supérieur. Mais après cela, il ne reste dans l’esprit que l’impression forte d’avoir compris quelque chose. La compréhension proprement dite, c’est-à-dire le concept, a aussitôt glissé entre nos doigt. Qu’on relise ce passage de la Philosophie de la Liberté de manière circonspecte et on ne pourra que s’inquiéter de cette déclaration selon laquelle il aurait trouvé dans la vie de la pensée quelque chose de plus sublime que toute émotion ordinaire. A quel état psychique fait-il ici allusion ?

Qu’on lise attentivement ce courriel posté sur mon blog il y a quelques temps par un anthroposophe :

« La tête humaine (avec ses organes vitaux que sont le cerveau et les 5 sens) est aujourd’hui sous l’emprise du trompeur. Il y a des sujets à laisser dans les casseroles et à ne plus ouvrir les couvercles. Il est venu le temps de la méditation active. Je m’offre comme outil à des forces de lumière sans chercher à comprendre, sans volonté d’expliquer. L’explication va mettre en route une machinerie cérébrale lourde, huilée, corrompue dont les effets ne seront pas ceux que nous voulions au départ et, en toute bonne foi, c’est ce qui nous porte tous à croire que Steiner et d’autres clairvoyants étaient fous et qu’il faut mieux en rire. Les forces de tromperie sont dans notre corps, dans le courant hormonal. Elles sont bien réelles. Il faut maintenant investir le cœur mais sans considérer que la lumière luciférienne soit le chemin. Il nous faut de la lumière ici et maintenant , en humanité. Il n’appartient plus à notre temps, mais cela reviendra plus tard …, de réfléchir et d’élaborer sur des sujets tels que ceux de Monsieur Steiner que vous maîtrisez mais dont vous avez oublié l’intérêt. Usez de votre incarnation pour insuffler à votre organe cardiaque la lumière non pas depuis votre cervelle savante mais depuis votre cervelle aimée par LUI, cette masse cérébrale qui se moque de connaître mais qui souhaite œuvrer pour l’Amour Inconditionnel . Je vous embrasse. »

Certes, une telle prose peut prêter à rire. Mais elle est pourtant tout-à-fait révélatrice d’une pensée qui ne fonctionne plus que sous le mode de concepts abstraits promus au rang de substances, de sujets, d’entités (Amour, Lui, le Trompeur, le Corps, etc), sans contenus précis. Ces abstractions divinisées et creuses sont associées à des considérations étranges sur les processus organiques, ainsi que Steiner lui-même le faisait souvent, en particulier dans Nature humaine, l’ouvrage de référence des enseignants Steiner-Waldorf, où il ne cesse notamment de parler ainsi des nerfs et du sang. Le tout est enrobé dans des formules pompeuses et des tournures sentencieuses, agrémenté d’une effusion sentimentale finale inappropriée. En proie à ce qu’il faut bien appeler une sorte de délire mystico-organique, cet anthroposophe s’imagine pourtant pratiquer une nouvelle forme de pensée : « la pensée du coeur« , thème récurent de la littérature de la Science de l’Esprit. En outre, la syntaxe même révèle des blancs inquiétants, des liaisons manquantes, comme si la structure de la logique avait été disloquée par les puissantes sensations psycho-spirituelles auxquelles l’auteur se réfère lorsqu’il dit qu’il « s’offre comme outil à la lumière ». La métaphore oscille entre le bronzage et l’acte sexuel. Il est très difficile de savoir ce que cet adepte de Rudolf Steiner voulait dire au juste, ni de quel contenu de compréhension il croit posséder la clef. Pourtant, il est parfaitement sincère et cherche simplement à décrire un état psychique qu’il doit connaître souvent : avoir l’esprit comme traversé par des courants de lumière, par des influx de présences. Il ne cherche pas à comprendre quelque chose, ainsi qu’il le dit lui-même, car la compréhension intellectuelle serait vécue comme une trahison de ce processus. Il se sent simplement au contact d’une idée dont il ne peut ni ne veut rien dire, d’une intuition qui reste dans l’ineffable et ne doit pas en sortir. Sans contenu saisissable, sans sens communicable, cette impression de présence d’une idée lumineuse le comble. Elle ne répand de clartés sur rien, mais cette lumière est en elle-même un objet de jouissance. A la lecture d’un tel passage, très représentatif de bon nombre d’écrits et de conférences anthroposophiques que j’ai pu suivre pendant plus de trente ans de fréquentation de ce milieu, on comprend mieux pourquoi Bodo von Plato, un très haut dirigeant de la Société Anthroposophique Universelle, ait pu se dire entouré de « zinzins ». Mais en était-il arrivé à la conclusion que c’est précisément la collusion entre des concepts creux divinisés et des processus corporels mystifiés, données dans des contextes qui provoquent des « impressions d’idées sublimes » érigées en entités perçues intuitivement, qui provoque cet état mental délétère ?

C’est à mon avis la raison pour laquelle les anthroposophes sont persuadés que leur doctrine est vraie, qu’ils n’ont pas le moindre doute sur aucun des propos de Steiner. Ou, pour le dire de façon peut-être plus précise encore, qu’ils se vivent eux-même entièrement dans la vérité de l’anthroposophie. Car il ne s’agit pas du même type de conviction que l’adhésion à une idéologie. La conviction anthroposophique ne repose pas en effet sur le caractère convainquant d’un raisonnement, ni sur l’enchaînement probant de propositions. Elle s’appuie sur une impression d’immersion totale et brève dans une idée perçue comme un être réel. Si l’anthroposophe est convaincu par l’anthroposophie, c’est parce que son psychisme porte en lui gravés les souvenirs de tels moments. Or ce mode de pensée a été initié par Rudolf Steiner lui-même. Prenons quelques exemples extraits du livre Théosophie. On peut y lire le passage suivant :

 » On ne peut pas être homme au plein sens du mot si l’on a pas d’une façon ou d’une autre approché l’entité et la destination de l’homme que dévoile le savoir suprasensible. La réalité la plus haute vers laquelle l’homme puisse lever les yeux, il la désigne par ce nom : le divin. Et il lui faut penser que sa destination suprême est d’une manière ou d’une autre liée à ce divin. » (p. 27, Ed Novalis)

Du point de vue du simple apport conceptuel, cette phrase établie juste un rapport entre deux notions : l’homme et le divin. Nombreuses sont les personnes qui liront cette phrase sans être particulièrement touchées par elle. Elle semble ne procéder qu’à une connexion logique. Et pourtant, à la lecture de ce passage, d’autres pourront ressentir quelque chose de bien plus puissant. Ces personnes-là auront eu l’impression de saisir, de vivre, d’éprouver à la fois la nature du divin et celle de l’homme. Elles auront senti une sorte de déflagration intérieure, de choc de compréhension, de flash psychique. Un bref instant, dans leur pensée, mais aussi dans leur cœur, elles auront été un avec la nature de l’homme et avec celle du divin. Le problème, c’est que ce genre de phrase ne divulgue en réalité aucune indication conceptuelle précise ni sur l’homme ni sur le divin. Une liaison a été opérée entre deux propositions qui sont restés en creux. Qu’est-ce que l’homme ? Un être qui tend vers le divin. Qu’est-ce que le divin ? La destination suprême de l’homme. Autrement dit, chacun des deux concepts se définit par son rapport à l’autre. Le concept de destination les relie. Que cherchait à dire précisément Steiner dans ce passage ? Que le divin n’est rien d’autre que la perfection humaine potentielle ? Que ce qui définit notre humanité tend vers une réalisation d’elle-même qui peut être appelée divine ? Mais reste à savoir ce qu’est le divin, ce qu’est l’humanité. Steiner n’ayant ici proposé que des mots, sans rien qui permettrait de saisir la réalité que ces derniers désigneraient pour lui, on reste dans le flou le plus total. Or, pour qu’un concept ait un contenu, il faut toujours qu’il soit le produit de propositions ayant elles-mêmes préalablement un contenu. Si je défini un concept par sa liaison avec un concept indéfini, sa définition ne pourra être qu’indéfinie. J’ai ainsi produit une impression de compréhension qui va demeurer sans contenu. C’est la raison pour laquelle rien ne reste de tels moment de compréhension que l’impression psychique de la compréhension. Lorsqu’un penseur authentique pense, il s’efforce toujours de proposer un contenu aux concepts qu’il manie.

Ces pures liaisons logiques entre des concepts indéfinis est à mon sens le trait caractéristique de l’écriture de Rudolf Steiner. Elles forment ce qu’on pourrait appeler des boucles conceptuelles fermées, des court-circuits de la pensée. Cette dernière y est comme prisonnière d’un anneau sans début ni fin. Prenons un autre exemple, également extrait de Théosophie :

« Les substances dont un être vivant se compose changent constamment ; l’espèce reste la même pendant la vie et se transmet aux descendant. L’espèce est donc ce qui détermine l’assemblage des substances. » Cette force qui forme l’espèce sera appelée force de vie. » (p. 39, Ed Novalis)

Nous avons ici trois concepts : l’espèce, la vie, la forme. Quels sont leurs liens ? L’espèce est une forme qui permet la vie. La forme est la vie de l’espèce. En bref, chaque concept se définit par les deux autres. Mais les contenus de chacun restent parfaitement indéfinis. Qu’est-ce que Steiner appelle la forme d’une espèce, ou d’un être vivant ? Cela reste complètement indéterminé.  Et pourtant, certains lecteurs auront pu ressentir à la lecture d’un tel passage l’impression de comprendre ce qu’est la forme d’un être vivant, ce modèle invisible qui conserve sa structure de générations en générations. Ils auront peut-être même eu l’impression fugitive de le percevoir. Ils auront alors eu ce qu’on peut appeler un flash psycho-spirituel.

Il en est ainsi de nombreux autres concepts de l’anthroposophie : le corps, le moi, l’esprit, le divin, le penser, le vouloir, le sentir, etc. Ils sont de purs contenus conceptuels sans définitions, que Steiner relie les uns aux autres. Ce maniement des concepts prendra même, dans certains de ses ouvrages, des tournures tellement abstraites que les anthroposophes ont longtemps hésité avant de les publier, craignant sans doute qu’on identifie le processus apparenté au délire qui y était à l’œuvre. C’est le cas par exemple de l’ouvrage intitulé : Anthroposophie, un fragment. Ce dernier est à ce point abstrait et confus, ne reposant que sur des liens logiques entre concepts indéfinis, que personne n’y comprend rien. On peut en livrer ainsi un extrait représentatif :

« Maintenant, si le Je présente à l’encontre de l’existence extérieure non pas le vécu originel qui lui est propre, mais cette entité qu’il a lui-même reçue de l’extérieur, alors une propriété qui est elle-même venue de l’extérieur jusque dans l’intériorité peut être imprimée du dehors sur le vécu intérieur. Le monde extérieur s’imprime ainsi sur un vécu intérieur qui est lui-même l’intériorisation d’une réalité extérieure. Ainsi se présente le sens de la vue. Pour lui, c’est comme si, au sein de l’expérience-Je, le monde avait affaire à lui-même. » (p 66., Ed. Triades)

Il est possible que cette phrase veuille dire quelque chose de précis et qu’elle exprime un contenu de réalité. On pourra par exemple y déceler l’étrange rapport entre intériorité et extériorité propre aux images, que certains peintres ou certains penseurs du domaine de l’esthétique ont cherché à exprimer dans leurs écrits théoriques (par exemple dans un ouvrage de Michel Foucault, intitulé Les Mots et les Choses). Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que sa formulation aura égaré maints lecteurs dans les dédales de ses circonvolutions logiques. Quant à ceux qui s’acharneront à la comprendre, ne risquent-ils pas d’être à ce point accaparer par le caractère complexe des liens qu’ils perdront de vue le fait que cette phrase se réfère à un contenu de réalité précis ? Steiner parle en effet ici d’une chose aussi concrète que l’organe sensoriel de la vue, à savoir l’œil. Mais il insère ses considérations à ce sujet dans une construction si élaborée de rapports entre les concepts d’intériorité, d’extériorité et du moi qu’on est très vite complètement incapable de voir où il voulait en venir. Comme à son habitude, il ne donne aucun exemple, ne se réfère à aucune expérience qui permettrait de saisir son propos.

Ainsi, Rudolf Steiner écrit parfois avec un degré d’abstraction tel que la pensée est comme désemparée. Je me souviens de la manière dont se passaient les études des textes de pédagogie dans les collèges des écoles Steiner-Waldorf où j’ai travaillé. Personne ne comprenait rien à rien ! On restait parfois des semaines entière à tenter d’expliquer un petit passage énigmatique. Il fallait avoir recours à d’autres passages dans d’autres œuvres de Rudolf Steiner où celui-ci semblait traiter du même sujet. Mais on ne comprenait pas grand chose non plus à ces passages. A la fin de l’année, l’étude de l’œuvre qui avait été choisie pour toute l’année scolaire n’avait que rarement dépassé le stade des trois premières conférences. Ainsi, les études des textes de Rudolf Steiner provoquent une sorte d’obsession mentale collective. Les esprits des pédagogues Steiner-Waldorf sont comme mis en surchauffe permanente totalement inutile, puisque rien ne ressort vraiment de ces études. Aucune notion pédagogique probante n’émerge ! Aucun concept nouveau ne vient enrichir l’horizon des pensées de chacun ! Au bout d’un moment, ce genre de travail produit des effets absolument délétères. Les esprits renoncent tout simplement à comprendre. Vaincus par la complexité, bon nombre de pédagogues se mettent à répéter ce qu’ils lisent à la manière d’un texte sacré. Et l’on vénère comme des gourous les rares personnes qui ont l’air d’y comprendre quelque chose et qui font des discours explicatifs auxquels on ne comprend pas non plus grand chose. Tout ce qu’on retient, ce sont  les indications très concrètes qui parsèment l’œuvre. On en fait alors des préceptes religieux. De plus, l’état de fatigue neuronale engendré par ces études collectives infructueuses déchaîne les agressivités. C’est un des facteurs qui explique l’épouvantable asociabilité qui peut régner dans ces collèges pédagogiques des écoles Steiner-Waldorf. Ainsi, par son écriture, Rudolf Steiner est personnellement responsable de dégâts humains considérables.

Il reste cependant une question à élucider dans le cadre de cet article : ce type d’écriture reposant sur des liaisons entre des concepts indéfinis était-il chez cet auteur purement gratuit ? S’agissait-il d’un jeu de l’esprit tournant à vide ? D’un habile stratagème de sophiste ? Ou bien ce type d’écriture renvoyait-il à des intuitions réelles ? Il serait facile de pencher pour la première solution et d’en conclure à un certain charlatanisme de la pensée. Connaissant mes autres écrits, le lecteur s’attend sans doute à une conclusion de cet ordre de ma part. Et pourtant, je ne pense pas que ce soit si simple. Il me semble en effet que, lorsque la réflexion entreprend, devant de telles phrases, un puissant effort de réflexion, consistant non pas à se perdre dans des abstractions creuses mais à donner de la chair aux concepts, il est parfois possible qu’un contenu réel se dégage. Le problème est plutôt que ce travail aurait du être, au moins partiellement, fait par Steiner lui-même. C’est ce qu’aurait fait tout philosophe authentique. Leibniz, par exemple, avec son idée de monade, propose une intuition indicible de ce genre. Mais toute son œuvre consiste à tenter de mieux la cerner, à l’approcher de la compréhension commune afin que celle-ci puisse se l’approprier. Steiner, quant à lui, laisse ses intuitions planer dans les hauteurs et ne fait aucun effort pour les rendre assimilables. Il les fait miroiter, mais elles restent dans un ciel inaccessible. Ainsi, il rend fous ceux qui le lisent. Car les lecteurs de Steiner peuvent effectivement être traversés d’intuitions. Mais elles sont beaucoup trop inconsistantes pour que leur pensée puisse en faire quelque chose. L’état psychique engendré par celles-ci se résume à une vénération pour ces impressions fugitives.

Nous avons tous, un jour ou l’autre, fait des rêves au cours desquels nous avions eu l’impression d’avoir eu des idées géniales, mais qui au matin s’avéraient parfaitement décevantes. Au cours de ces rêves, nous nous promettions de les retenir. Au réveil, nous ne comprenions pas comment elles avaient pu nous enthousiasmer à ce point. De même, les fumeurs de haschisch racontent souvent que leur drogue leur donne l’impression d’avoir des idées lumineuses et géniales. Les écrits de Steiner produisent à mon sens quelque chose de similaire. On a brièvement l’impression de comprendre quelque chose de sublime, mais il n’en reste pas grand chose quelques instants plus tard. Le problème est que de tels états, fréquemment répétés, produisent dans l’esprit une emprise comparable à celle des drogues. On veut retrouver cet état de plénitude mentale que l’intuition d’une idée sublime a provoqué en nous. Alors, on se replonge dans l’œuvre de Steiner, dans l’espoir d’un prochain état de ce genre. On attend de nouveaux flashs. Si je repense aujourd’hui aux regards de certains dirigeants anthroposophes, ou de pédagogues Steiner-Waldorf qui se positionnaient en spécialistes capables d’expliquer les concepts pédagogiques de Rudolf Steiner, j’y décèle la trace de tels états seconds. Certes, leurs discours pouvaient être la plupart du temps parfaitement raisonnables. Ils pouvaient même s’avérer des êtres redoutablement rusés. Mais, par moments, on percevait dans leurs regards que quelque chose décrochait. Un bref instant, ils avaient l’air perdus, sonnés, ivres, hébétés. Comme s’ils avaient été ravis par quelque chose. Cette absence à soi-même se traduisait ensuite par des comportements bizarres, comme des sautes d’humeurs, une susceptibilité exagérée, etc. En définitive, la lecture des œuvres de Steiner ne leur faisait pas de bien. Car il s’agit selon moi d’une œuvre qui, en elle-même, pour les raisons que j’ai tenté de rendre claires, produit une forme d’emprise psychique.

Qu’ils permettent ou non l’accès à des intuitions réelles, les flashs psycho-spirituels que peut procurer la lecture des ouvrages de Rudolf Steiner produisent une emprise psychique qui finit par rendre fou.

Le lecteur pourra prolonger utilement la lecture de cet article par celui intitulé Rapports à soi-même et rapports aux autres dans le milieu anthroposophique.

Licence Creative Commons
Une oeuvre qui rend fou. Les flashs psycho-spirituels provoqués par les écrits de Rudolf Steiner de Grégoire Perra est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.
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Réponses

  1. http://groups.yahoo.com/group/waldorf-critics/message/25066

    😉

    • Thanks !!!!

  2. Steiner était un penseur subjectiviste ,qui comme tout les penseurs de ce type prenait ses propres représentations conceptuelles pour des réalités communes à tous.
    D’ailleurs, on ne peut à proprement parler de représentation conceptuelles puisque il s’agit en vérité d’un mélange d’émotions, d’intuitions, d’imaginations, de pensée et de visualisation mental.
    C’est ce qui le caractère informe de ces écrits.
    Steiner ne faisait donc que décrire sa vérité.
    Un penseur objectif par contre (tel Aristote par ex) , utilise la raison pour atteindre le vrai au moyen d’outils logiques , il découvre le sentier qui mène à la vérité extérieure à soi, donc commune et claire.

  3. A reblogué ceci sur La Vérité sur les écoles Steiner-Waldorf.


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