Publié par : gperra | 22 février 2012

Théâtre et Cosmos dans Troïle et Cresside

Théâtre et Cosmos

dans

Troïle et Cresside

Introduction

Une étude de la cosmologie de Shakespeare ne saurait être une étude globale de son oeuvre, pour la simple raison que chacune de ses pièces pose une énigme spécifique, développe un aspect particulier de l’histoire du cosmos ou de la relation de l’homme à celui-ci. Si une cosmologie d’ensemble peut être dégagée, ce n’est qu’après une étude ayant accepté de se pencher sur chacune de ses facettes, sur chacune de ses multiples problématiques. Car ces bien de problématiques dont est constituée la cosmologie de Shakespeare et non d’une unique doctrine. La cosmologie de Shakespeare est semblable à l’un de ses triptyques du Moyen-Âge où chaque image peut ne pas avoir de rapport visible avec les autres, bien que l’ensemble de la composition puisse traiter d’un même thème. À la différence près que cette cosmologie ne comporte pas trois tableaux mais au moins une trentaine.

D’autre part, rien dans l’étude de cette cosmologie de Shakespeare ne nous a permis de penser à de quelconques sources occultes provenant d’une cosmologie inconnue, rosicrucienne ou alchimiste. Au contraire, la cosmologie de Shakespeare se fonde sur des sources disponibles et connues entre toutes à son époque comme à la nôtre, à savoir la mythologie grecque et les Évangiles. Ce qui est occulte, c’est seulement la pénétration et la profondeur avec laquelle Shakespeare a su comprendre l’univers grec et la façon dont il l’a confronté à la doctrine chrétienne.

Dans Troïle et Cresside, la problématique posée est celle de l’État. Pour Shakespeare, un État n’est pas le simple fruit de l’arbitraire humain, mais l’oeuvre des cieux. Il touche de près une question qui, formulée de manière sommaire, pourrait ressembler à celle-ci :

Quels rapports les individus doivent-ils avoir au cosmos, à l’État, entre eux et à eux-mêmes ?

Problématique d’envergure, complexe et sérieuse dont Shakespeare mesurait la gravité en faisant dire à l’un de ses personnages :

« Ulysse

(…) Il est en l’âme d’un État, quoique jamais

Personne n’ait osé le décrire, un mystère

Dont le mode d’opération est trop divin

Pour que le puisse dire ou le souffle ou la plume.

Ulysses

(…) The is a mystery, with whom relation

Durst never meddle, in the soul of state,

Which are an operation more divine

Than breath or pen can give expressure to. »1

Percer le secret de l’État, c’est donc s’aventurer au coeur d’un mystère divin, une énigme du cosmos. Et c’est exactement ce que Shakespeare tente de faire dans Troïle et Cresside.

L’ordre solaire du cosmos et l’ordre social de l’État

Troïle et Cresside est l’une des pièces de Shakespeare ou apparaît le plus clairement une représentation cosmologique de l’univers. Il s’agit de la fameuse tirade d’Ulysse où l’on a pu voir l’image même de la conception de l’ordre à la Renaissance. Elle fonde à la fois un ordre cosmique et un ordre social, puisqu’Ulysse invite les Achéens à imiter l’ordre céleste dans le gouvernement de leur armée. Cette tirade d’Ulysse serait donc l’expression même de la conception élisabéthaine de l’ordre et la synthèse de toute la cosmologie de Shakespeare. C’est ainsi que Théodore Spencer commente ce discours du fils de Laërte en affirmant que :

« (…) Nul n’a mieux exprimé ceci que Shakespeare : le célèbre discours d’Ulysse sur l’ordre, dans Troïle et Cresside, résume presque toute la pensée des Élisabéthains à ce sujet. (…) Shakespeare, considérant l’ordre de l’État, l’illustre, à la manière caractéristique des Élisabéthains, par l’ordre des cieux et par celui qui régit les facultés de l’homme. (…) »2

Pourtant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que ce texte de Shakespeare est bien moins classique qu’il n’y paraît. James Dauphiné a ainsi fait remarquer, à juste titre, que contrairement à la conception ptoléméenne de la Renaissance, pour qui la Terre était encore au centre de l’univers, la tirade de Shakespeare donnait au soleil une importance centrale :

« Dans le discours politique d’Ulysse, la terre est secondaire, le soleil primordial. »3

James Dauphiné se refuse cependant de voir en une telle tirade les prémisses d’une représentation copernicienne de l’univers, expliquant que cette prépondérance du soleil n’a d’autre fonction que poétique. Néanmoins, ne faut-il pas envisager qu’une telle image représente bien, dans la cosmologie de Shakespeare, la fonction cosmique symbolique du soleil (qui n’est pas nécessairement similaire à sa situation cosmographique) ? En effet, cette description brosse un portrait de l’action du soleil au sein des planètes, c’est-à-dire de l’interaction entre l’astre diurne et les astres errants :

« Ulysse

(…) Les cieux mêmes, ce globe au centre et les planètes

Observent préséance, rang et position,

Fixité, direction, rapports, saisons et formes,

Coutumes, fonctions et tout ordre prescrit ;

Ce pourquoi le glorieux soleil trône en sa sphère,

Noblement exalté parmi les autres astres,

Lui dont l’oeil bienfaisant corrige l’influence

De tout astre contraire et rejoint sans obstacle,

Tel le commandement du rois, bons et méchants.

Ulysses

(…) The heavens themselves, the planets, and this center,

observe degree, priority and place,

Insisture, course, proportion, season, form,

Office and costom, in all line of order ;

And therefore is the glorious planet Sol

In noble eminence enthroned and sphered

Admidst the other ; whose medicinable eye

Corrects the influence of evil planets,

And posts, like the commandment of a king,

Sans check to good and bad. »4

Ulysse décrit donc comment le soleil a pour fonction de coordonner et de corriger mouvements et influences des autres planètes. Il est le roi du cosmos et les planètes sont ses vassales. En tant que roi, il est le gardien et l’incarnation de ce que Shakespeare nomme préséance, rang, position, fixité, direction, rapports, saisons, formes, coutumes, fonctions, ordre, etc., c’est-à-dire de la loi cosmique. On peut donc dire du soleil qu’il est le législateur de l’univers, celui qui doit ordonner les rapports, concevoir les formes, partager les prérogatives. Le soleil de Shakespeare est le faiseur de loi du cosmos, le Logos des cieux.

De plus, à notre connaissance, personne n’a encore remarqué un point capital : cet ordre de l’univers dépeint par Ulysse est certes un modèle pour le gouvernement des Grecs, mais il s’agit d’un ordre passé. En effet, Ulysse poursuit son propos en employant la métaphore de la ruche et du miel :

« Ulysse

(…) Sur cette plaine, autant s’enfle de tentes grecques,

Autant, du même coup, de creuses factions.

Lorsque le général n’est pas comme la ruche

Où tout les fourrageurs doivent faire retour,

Quel miel attendre ?

Ulysses

(…) And look how many Grecian tents do stand

Hollow upon this plain, so many hollow factions.

When that the general is not like the hive

To whom the foragers shall all repair,

What honey is expected ? »5

Or cette métaphore de la société des abeilles dont devraient s’inspirer les Grecs n’est pas celle d’une société possible, mais d’une société révolue, l’ordre social de l’âge d’or. La société des abeilles, comme modèle d’une société humaine idéale, est un mythe symbolisant la première race métallique dans Les travaux et les jours d’Hésiode. Robert Graves fait ainsi remarquer que  :

« (…) La ruche (…) était considérée comme la république idéale et elle confirmait le mythe de l’Âge d’Or au cours duquel le miel coulait des arbres : (…)

Ces hommes furent appelés la race d’or ; ils étaient les sujets de Cronos, ils n’avaient aucun souci, ils vivaient sans travailler et se nourrissaient uniquement de glands, de fruits sauvage et du miel qui coulait des arbres ; ils buvaient le lait des brebis et des chèvres, ne connaissaient pas la vieillesse, dansaient et riaient beaucoup, et la mort pour eux n’était guère plus effrayante que le sommeil. (…)

Bien que le mythe de l’Age d’Or provienne en fin de compte d’une tradition relatant la soumission tribale à la déesse-Abeille, la cruauté de son règne à la période préagricole avait été complètement oublié au temps d’Hésiode, et tout ce qui en subsistait, c’était une conception idéaliste d’après laquelle les hommes auraient vécu un jour tous ensemble dans une parfaite harmonie, comme les abeilles. (…) »6

L’ordre social décrit par Ulysse en ce début de pièce n’est donc pas un modèle mais un mythe. Les Grecs savent que la société des hommes de l’âge d’or est révolue et qu’il n’est aucun espoir de la revoir fleurir. Ulysse motive ses hommes avec le mythe de l’âge d’or, mais il est conscient qu’il s’agit d’un mythe, c’est-à-dire un récit de temps lointains désormais hors d’atteinte. Aussi, son incitation à imiter l’ordre des cieux pour régler le gouvernement des hommes n’est pas une utopie pour le présent mais le souvenir d’un glorieux passé. Afin de régénérer l’État grec en pleine décomposition, Ulysse rappelle qu’il fut un temps mythique où l’ordre de l’État était semblable à l’ordre même des cieux. Il ne se fait aucune illusion sur la possibilité d’un retour de l’âge d’or, mais du moins espère-t-il que ce souvenir incitera les Grecs à ne pas abandonner les derniers restes de ce qui fit la grandeur de leur civilisation et de l’humanité.

Il faudrait relire le passage cité ci-dessus en mettant tous les verbes à la forme passée afin de saisir de manière juste le propos d’Ulysse. La suite de ce discours également  :

« Ulysse

(…) Mais si les astres, en funeste désarroi,

Vagabondent de-ci de-là, fauteurs de trouble,

Quelles menaces, quels fléaux, quelles discordes,

Quelles rages en mer, quels tremblements de terre,

Quels ouragans, quels branle-bas, quelles terreurs

Bouleversent, balayent, déchirent, déracinent

L’unité, la tranquille harmonie des États !

Ulysses

(…) But when the planets

In evil mixture to disorder wander,

What plagues and what portents, what mutiny,

What racing of the sea, shaking of earth,

Comotion in the winds, frights, changes, horrors,

Divert and crack, rend and deracinate

The unity and married calm of states

Quite from their fixure ! »7

Lu à la forme passée, le sens de ce texte change du tout au tout. Le trouble de l’ordre cosmique dont il est question n’est plus une hypothèse d’école, comme c’est apparemment le cas, mais un événement qui, pour Ulysse, s’est déjà produit. Un événement qui a eu des répercussions sur la nature et les États. L’ordre du cosmos a été troublé, le soleil ne commande ni ne gouverne plus l’univers ; les planètes, ou partie d’entre elles, se sont révoltées et n’obéissent plus au logos cosmique. Dans Troïle et Cresside, le désordre de l’État ne provient donc pas de ce que les hommes auraient cessé d’imiter l’ordre du cosmos, comme le pense Théodore Spencer, mais du désordre qui désormais règne au sein même du cosmos. Ce désordre se répercute sur la société humaine et divise les États en factions rivales. L’âge d’or n’a pas disparu du fait des hommes, mais parce qu’un trouble cosmique a ébranlé la loi de l’univers.

Ce point établi modifie radicalement l’interprétation qui est ordinairement faite de la problématique de cette pièce de Shakespeare. Il n’est plus question pour les Grecs de rétablir la hiérarchie au sein de leurs troupes, mais de se prémunir d’un désordre cosmique qui a fait basculer l’âge d’or à l’âge de fer.

Héliocentrisme et Érocentrisme dans Troïle et Cresside

Le soleil a perdu sa préséance sur le cosmos. Les planètes exercent désormais leurs influences sans aucune régulation ni coordination. Le cosmos a perdu son centre. Mais que s’est-il produit ? Une explication est présente dans le texte de Shakespeare, quoique de manière très discrète. Ce qui dispute a présent le privilège du centre cosmique au soleil est l’amour. En effet, à la scène 2 de l’acte IV, Cresside use d’une métaphore où elle compare son amour à la force d’attraction de la Terre :

« Cresside

(…) Car le roc sur lequel s’élève mon amour

Tel le centre du globe, attire tout à soi !

Cressida

(…) But the strong base and building of my love

Is as the very centre of the earth,

Drawing all things to it. »8

Cette image pourrait n’être qu’une simple métaphore poétique de la puissance de l’amour, n’était une métaphore presque identique dans Le Songe d’une nuit d’été. En effet, nous avons pu analyser comment le récit d’Obéron relatait un événement mythique où une sirène, perchée sur le dos d’un dauphin, avait entonné un chant qui avait attiré une partie des étoiles. Nous avons également pu voir que cette sirène était une figure d’incarnation de Cupidon passant dans le ciel pour tirer sa flèche d’or sur la vierge en profonde méditation, ce qui signifiait faire éclore le désir au sein d’une nature et d’une humanité qui en était encore vierge. En conséquence, le Songe et Troïle et Cresside présentent la même image cosmologique du dieu Éros exerçant une si puissante force d’attraction qu’une partie de l’univers lui est désormais soumise. L’amour de Cresside attire tout à elle par ce qu’il est à l’image de la sirène/Cupidon qui a décentré le cosmos en faisant du désir le nouveau pôle de l’univers. C’est donc au profit d’Éros que le soleil a perdu sa position centrale dans l’univers. Plus exactement, l’univers a désormais deux centres rivaux : le Soleil, ancien roi des planètes, et Éros, dont la Terre est le royaume.

Cette lutte du soleil et de l’amour dans la cosmologie de Troïle et Cresside peut être décelée par d’autres indices. Hélène est présentée comme une incarnation de Vénus, l’âme de l’amour :

« Le serviteur

(…) monseigneur Pâris, qui est là en personne, accompagné de l’humaine Vénus, de l’essence même de la beauté, de l’âme indivise de l’amour.

Servant

(…) Paris, my lord, who is there in person ; with him, the mortal Venus , the heat-blood of beauty, love’s indivisible soul. »9

Hélène de Troie représente, dans cette pièce de Shakespeare, l’amour personnifié, le reflet de la puissance de Cupidon. Or, il est également souligné que la beauté de cette reine est telle qu’elle amoindrit les feux de l’aurore et fait vieillir Apollon, le dieu du soleil :

« Troïle

(…) cette jeune reine dont la fraîcheur

Flétrît l’aurore et fait un vieillard d’Apollon. (…)

Troilus

(…) a Grecian queen, whose youth and freshness

Wrinkles Apollo’s and make pale the morning. (…) »10

Cupidon/Vénus s’oppose donc directement à Apollon/Aurore. L’âme de l’amour (love’s indivisible soul) assombrit l’aurore aux doigts de rose, héraut de la puissance solaire. En outre, la caractéristique de l’âge de fer selon Hésiode est de faire naître des hommes vieux. Le fait que la beauté de la reine de Troie puisse faire vieillir (wrinkles) Apollon doit donc symboliser que, pour Shakespeare, Éros est responsable de la chute de l’âge d’or à l’âge de fer. En substituant au règne du soleil son propre centre au coeur de la terre, le dieu du désir entraîne le monde dans un âge de fer où le vieillissement frappe les êtres. Faire vieillir le soleil est, dans la cosmologie de Shakespeare, l’ultime méfait d’Éros. Au cosmos du soleil gouverné par le logos fait donc place le cosmos d’Éros dominé par le désir.

Dans cette pièce de Shakespeare, il est donc possible d’affirmer que se font face deux sociétés représentant deux divinités cosmiques différentes. La société des Grecs représente l’ordre solaire de l’âge d’or révolu, le vestige d’une ancienne civilisation où l’ordre de l’État était encore une imitation de l’ordre des cieux. Troie, où trône l’incarnation humaine de Vénus, obéit à présent à la loi d’Éros, rival du soleil. Ce sont donc deux modèles de société qui s’affrontent, l’un sur son déclin et l’autre triomphant, annonçant le désordre et le chaos d’une humanité frappé de vieillissement.

Restaurer un nouvel ordre solaire

Cependant, certains personnages, comme Hector ou Ajax, nous obligent à nuancer cette séparation radicale entre des Grecs voués au soleil et des Troyens assujettis à Éros. En effet, Ajax déclare ne pas savoir ce qu’est l’orgueil, montrant par là que Cupidon n’est d’aucun pouvoir sur lui. Ce que confirme Agamemnon en lui répondant que son esprit n’en est que d’autant plus lumineux, c’est-à-dire consacré au soleil :

« Ajax

Comment peut-on être orgueilleux ? D’où vient l’orgueil ? Je ne sais ce que c’est que l’orgueil.

Agamemnon

Votre esprit n’en est que plus lumineux, Ajax, et vos vertus plus belles.(…)

Ajax

Why should a man be proud ? How doth pride grow ? I know not what pride is.

Agamemnon

Your mind is the clearer, Ajax, and your virtues the fairer.(…) »11

Bien qu’il soit du côté des Troyens, Ajax n’est pas le serviteur de Cupidon mais un héros solaire à l’esprit clair et pur de tout orgueil. De même, Hector semble profondément lié à un mode d’existence consacré à la divinité solaire, lui qui se lève avant l’aube pour aller à la bataille et dont la mort est associé par Achille à la chute du jour :

« Achille

Regarde, Hector : voici que le soleil se couche,

Que halète sur ses talons l’affreuse nuit.

Tandis que le soleil s’abîme et s’obscurcit,

La vie d’Hector va s’épuiser avec le jour.

Achilles

Look, Hector, how the sun begins to set,

How ugly night comes breathing at his heels ;

Even with the vail and darking of the sun,

To close the day up, Hector’s life is done. »12

La vie d’Hector s’achève avec les jour et la fin tragique du héros signifie la victoire définitive du fils de la Nuit sur le soleil. Une séparation entre des Grecs diurnes et une Troie nocturne n’est donc pas de mise dans cette pièce. Éros n’exerce pas son pouvoir de manière aussi tranchée : les Grecs ont parmi leurs rangs des individus déjà tombés sous l’emprise d’Éros, comme le paresseux Achille et ses Myrmidons, tandis que Troie compte encore des héros de l’âge d’or comme Ajax ou Hector. Éros n’est pas un pouvoir établi qui façonnerait et administrerait une société humaine selon son bon vouloir, mais plutôt un poison qui ronge le coeur des États et corrompe individuellement chacun de ses membres selon sa nature et sa résistance propre.

Lutter contre Éros nécessite donc bien plus que le rappel du souvenir de l’âge d’or auquel se livre Ulysse à la scène 3 de l’acte I. Le fils de Laërte semble par ailleurs conscient qu’il serait vain d’espérer reproduire un ordre social semblable à celui de l’âge d’or. Les Troyens non plus ne semblent pas craindre une telle éventualité. C’est avec un respect mêlé d’ironie qu’ils font mine de croire que le gouvernement des grecs est encore une imitation de l’ordre des cieux et qu’en conséquence, Agamemnon, leur roi, est un soleil parmi les hommes :

« Énée

Oui : j’interroge afin d’éveiller mon respect

Et d’enjoindre à ma joue d’être prête à rougir

Aussi pudiquement que l’aurore modeste

Regarde le jeune Phébus.

Qui, parmi vous, est ce divin guide des hommes ?

Qui est le grand, le très puissant Agamemnon ?

Aeneas

Ay :

I hask, that I might waken reverence,

And bid the cheek be ready with a blush

Modest as morning when she coldly eyes

The youthful Phoebus.

Which is that god in office, guiding men ?

Which is the high and mighty Agamemnon ? »13

Agamemnon lui même ne semble plus très sûr de son rôle de représentant du soleil au sein de l’État, et tente plutôt de s’en convaincre et d’en convaincre les autres. Le trouble étant cosmique, ils n’appartient pas aux hommes de pouvoir faire revenir l’âge d’or de la première race.

En revanche, une stratégie de lutte semble envisagé par Ulysse dès son discours de la scène 3. En effet, il commence celui-ci en disant :

« Ulysse

(…) Un lien subtil, plus fort que l’axe autour duquel

Le ciel se meut, suspende toute oreille grecque, – (…)

Ulysses

(…) Should with a bond of air, strong as the axletree

On which heaven rides, knit the Greekish ears (…) »14

Ulysse demande donc aux Grecs d’écouter son propos de telle manière que ce qui va être dit contribue à concevoir, dans l’esprit même de ses auditeurs, un axe semblable à celui autour duquel les cieux se meuvent. Le discours d’Ulysse présentant ensuite le soleil comme le centre du cosmos de l’âge d’or, nous pouvons en conclure qu’Ulysse incite ici les Grecs à reproduire en eux-mêmes le centre solaire. Comme si lutter contre la puissance d’attraction du désir cosmique signifiait recréer en soi un centre légitime. C’est exactement l’enseignement qu’Ulysse tente de communiquer à Achille lorsqu’il lui montre que l’homme véritablement vertueux est semblable à un soleil :

« Ulysse

(…) L’homme, si richement partagé qu’il puisse être

Pour les dons du dedans et les biens du dehors,

Ne peut pas se vanter d’avoir ce qu’il possède

Et ne saurait le percevoir que par reflet :

Ainsi, quand ses vertus rayonnent sur les autres,

Les réchauffent, et qu’ils renvoient cette chaleur

A sa source première. »

(…) telle au soleil une porte d’acier,

Capte et lui restitue son image et sa flamme. (…)

Ulysses

(…) man, how dearly ever parted,

How much in having, or without or in,

Cannot make boast to have that wich he hath,

Nor feels not what he owes, but by reflection ;

As when his virtues, shining upon others,

Heat them and they retort that heat again

To the first giver.

(…) or, like a gate of steel

Fronting the sun, receives and renders back

His figure and his heat. »15

L’homme vertueux rayonne ses bienfait sur les autres et ne peut les percevoir que par reflet. Ulysse veut donc enseigner aux Grecs que, si le soleil se voit désormais disputer par Éros sa place centrale au sein du cosmos, il est possible à l’homme d’être, dans son comportement, semblable au soleil ce l’âge d’or révolu. Se recréera alors en lui « the axletree on which heaven rides ». L’homme de l’âge de fer deviendra semblable à « a gate of steel fronting the sun ». Malgré le métal ignoble constitutif de sa race, l’homme pourra devenir un miroir d’acier où se reflète et se concentre la puissance solaire. Cette stratégie n’est pas celle d’un retour à l’âge d’or, mais une méthode par lequel l’homme de fer peut retrouver un lien à la puissance solaire.

Aussi, c’est individuellement et non collectivement que pourra s’opérer le salut de l’humanité et des États à l’âge de fer. Il n’est pas question, semble nous dire Shakespeare, de restaurer une société d’abeilles, mais d’enseigner aux individus comment chacun peut devenir, en recréant en lui l’axe légitime de l’univers, un héraut du soleil. L’évocation de l’ordre des cieux de l’âge d’or n’avait pas pour but d’éveiller la nostalgie des Achéens, mais de montrer comment l’ancien modèle solaire du passé doit maintenant se métamorphoser pour affronter Éros, le loup universel. La ruse d’Ulysse à la scène 3 de l’acte III n’est pas seulement destiné à apprendre la modestie à Achille, mais à révéler un enseignement par lequel les hommes peuvent être eux-mêmes le reflet microcosmique de l’ancien ordre solaire de l’âge d’or.

Comment une telle métamorphose se manifeste-t-elle ? Il semble que le centre qu’Ulysse invite ses compagnons d’armes à recréer en eux-mêmes soit le coeur. En effet, c’est le coeur que la puissance d’Éros atteint en premier lieu, comme en témoignent les propos de Troïle dès la première scène de la pièce :

« Troïle

(…) Aux Troyens maîtres de leur coeur d’aller se battre !

Troïle, hélas, n’a plus le sien.

Troilus

(…) Each Trojan that is master of his heart,

Let him to field ; Troilus, alas, hath none ! »16

Troïle n’est plus maître de son coeur car celui-ci est tombé sous la domination de Cupidon. C’est une scission que le dieu du désir semble opérer en l’homme, comme le montre Shakespeare à la scène 2 de l’acte III lorsqu’il écrit :

« (…) La seule monstruosité en amour (…), c’est que le vouloir y est infini et l’exécution restreinte, le désir sans bornes et l’acte esclave de la limite.

(…) This is the monstruosity il love, (…) that the will is infinite and the execution confined ; that the desire is boundless and the act a slave to limit. »17

Cupidon divise donc le coeur de l’homme entre la volonté et son exécution, entre le désir et l’acte. Il est même possible de dire que le coeur de Troïle est semblable au cosmos depuis que le soleil doit partager avec Éros son empire, c’est-à-dire scindé en deux :

« Troïle

(…) Dans l’ulcère béant de mon coeur tu déverses

Ses yeux et ses cheveux, sa joue, son pas, sa voix ; (…)

Troilus

(…) Pour’st in the open ulcer of my heart

Her eyes, her hair, her check, her gaint, her voice ; (…) »18

Perdre la maîtrise de son coeur, c’est le voir scinder par la puissance de Cupidon. Le lien entre l’ulcère du coeur (the open ulcer of my heart) et la fin du règne solaire est par ailleurs confirmé par Shakespeare, lorsque Troïle dit qu’il a masqué son coeur fendu par un sourire, comme un nuage cache le soleil :

« Troïle

Voici ce que j’allais te dire : quand mon coeur,`

Comme forcé par un soupir, allait se fendre,

De peur qu’Hector ou mon père ne le vissent,

J’ai – comme le soleil qui lui par un orage –

Enfoui ce soupir dans le creux d’un sourire. (…)

Troilus

I was abvout to tell thee – when my heart,

As wedgéd with a sigh, would rive in twain,

Lest Hector or my father should perceive me,

I have, as when the sun doth light a storm,

Buried this sigh in wrinkle of a smile : (…) »19

L’ulcère du coeur signifie donc bien l’éclipse de la puissance du soleil. En fendant le coeur de l’homme, Éros anéantit les derniers vestiges du pouvoir solaire de l’âge d’or. C’est pourquoi cet ulcère qui se creuse dans le coeur de Troïle sous l’action de la puissance cosmique d’Éros ne peut aller qu’en s’accentuant et devenir identique à la grande division du cosmos : la séparation du ciel et de la terre. Ainsi Troïle, à la fin de la pièce, compare la division de son âme à la séparation du ciel et de la terre :

« Troïle

(…) Dans mon âme

Se déroule un combat de si étrange espèce

Qu’un être indivisible est divorcé de soi

Et se scinde aussi largement que ciel et terre. (…)

Troilus

(…) Within my soul there doth conduce a fight

Of this strange nature, that a thing inseparate

Divides more wider than the sky and earth ; (…) »20

Perdre la maîtrise de son coeur, c’est donc céder au même pouvoir qui a séparé le ciel et la terre en contestant la suprématie du soleil, c’est risquer de voir un ulcère béant diviser son âme comme a autrefois été divisé le cosmos. En revanche, reconquérir la maîtrise de son propre coeur, le purifier de l’orgueil, adopter un comportement actif où l’homme ne jouit pas de la satisfaction de ses vertus mais contemple leurs effets sur les autres, c’est fonder en soi un centre, semblable au soleil qui unissait et harmonisait l’univers au temps de l’âge d’or. De cette manière, l’ordre qui régnait entre les hommes au temps de l’âge d’or pourra être rétabli, non pas par la restauration autoritaire de la hiérarchie mais par un nouveau mode de comportement individuel libéré de l’orgueil insufflé par Cupidon.

Les ailes des sandales de Mercure et les ailes du dragon de la nuit

L’État de la première race métallique imitait donc, selon Shakespeare, l’ordre, l’agencement, la mesure du cosmos. Cette symétrie, entre la structure régulant les rapports entre les hommes et l’ordre cosmique, constituait le fondement de la hiérarchie dans les rapports sociaux. Mais la hiérarchie ne valait pas pour elle même ni pour elle seule : sa valeur tenait au fait qu’elle était le reflet terrestre du principe de mesure et de rationalité solaire qui ordonne le cosmos. La hiérarchie sociale de l’âge d’or était une imitation de la rationalité du cosmos, du logos solaire.

Ainsi, lorsque le camp des Grecs, à travers les propos d’Ulysse, évoque le souvenir de cet ordre cosmique solaire afin de mettre un terme à leurs querelles intestines, il n’est pas tant question de promouvoir une hiérarchie militaire pyramidale dont le sommet serait Agamemnon que de rendre les Achéens sensibles au principe même de rationalité qui régnait dans le cosmos. De fait, c’est effectivement à la raison que les Grecs en appellent constamment, comme si leur intelligence était le précieux héritage que l’âge d’or avait transmis à l’âge de fer, comme si l’intériorisation de l’ordre hiérarchique d’autrefois avait donné naissance à leurs rationalités d’aujourd’hui.

C’est en effet la rationalité, la ruse et la politique qui déterminent ce que les Grecs entreprennent. C’est un comportement réfléchi qui caractérisent leur mentalité, cependant que les Troyens prennent le parti du coeur et de l’honneur. Dans son introduction à ce drame, Brian Morris écrit ainsi :

« Shakespeare se propose manifestement de nous montrer le contraste ente la nature « raisonnable » mais égoïste des Grecs et l’ardeur généreuse mais irrationnelle des Troyens. »21

Cette explication est juste, mais il convient de montrer comment cette opposition dramatique est construite sur des fondements cosmologiques. La rationalité des Grecs est une imitation de l’ordre solaire cosmique de l’âge d’or tandis que le sentimentalisme des Troyens est une allégeance à la puissance cosmique d’Éros. La rivalité de Troie et de la Grèce signifiait donc, pour Shakespeare, l’affrontement de deux modèles comportementaux construits sur deux divinités cosmiques radicalement opposées.

Mais dans cette tragédie, le modèle étatique solaire semble échouer contre la puissance anarchique du dieu cosmique de l’amour. Comme l’exprime remarquablement Brian Morris, la raison des Grecs semble frappée de sécheresse et se réduire, en fin de compte, aux calculs rusés d’hommes politiques. La rationalité, pourtant reflet de l’ordre cosmique solaire bienfaisant, perds toute humanité et toute valeur. Comme si la raison avait cesser de se considérer comme le reflet du logos universel et ne fonctionnait plus que pour elle-même, s’enferrant dans la satisfaction de sa propre ingéniosité.

Dans cette pièce, Shakespeare a symbolisé la raison et son rapport à la totalité cosmique sous les traits d’Hermès. En effet, Agamemnon évoque une course au vol avec une autre créature ailée lorsqu’il est question de la rapidité de ses propres déductions :

« Agamemnon

(…) Pareille

Échappatoire, ailée de dédain comme elle est,

Ne saurait distancer au vol notre intellect. (…)

Agamemnon

(…) But his evasion, winged thus swift with scorn,

Cannot outfly our apprehensions. (…) »22

Le vol de l’intellect auquel fait référence Agamemnon est sans aucun doute une allusion implicite aux ailes des sandales ou du casque de Mercure. En effet, les ailes sont un attribut de cette divinité des voleurs et des marchands :

« Le pétase ailé et le caducée sont les attributs de Mercure. Le pétase est un chapeau thessalien qui n’a de particularité dans Mercure que les ailes qu’on y ajoute ;: quand le dieu est nu-tête (…) les ailes sont simplement plantées dans les cheveux en manière de cornes. (…) On voit quelquefois des ailes aux pieds de Mercure (…), mais jamais au dos. »23

Il est probable que Shakespeare ait voulu faire de ces ailes de Mercure le symbole de l’activité intellectuelle de l’homme, comme en témoigne la tirade d’Agamemnon. Cette interprétation du mythe était du reste parfaitement légitime, puisque une certaine tradition de l’Antiquité avait associée Hermès à la pensée. Pierre Lévêque et Louis Séchan font ainsi remarquer que :

« Le même mot (logos) désignant en grec la parole et la raison, Hermès est aussi le dieu des activités rationnelles. Sénèque, fidèle à la tradition stoïcienne, voit en lui le dieu « à qui appartient la raison, ainsi que le nombre et l’ordre et la science » et un hymne orphique l’appelle « le prophète de la raison chez les mortels ».24

Dans Troïle et Cresside, les ailes du pétase de Mercure sont donc probablement la métaphore du déploiement de l’intelligence, du vol de la pensée. Ce lien entre Mercure et la pensée est confirmé par Thersite qui affirme que le dieu aurait le pouvoir de faire perdre aux Grecs leurs esprits :

« Thersite

(…) O toi, grand lanceur de foudres de l’Olympe, oublie que tu es Jupiter, le roi des dieux, et toi, Mercure, perds tout l’onduleux savoir-faire de ton caducée, si vous ne leur enlevez pas entre vous ce petit, petit peu, ce moins encore que petit peu d’esprit qu’ils possèdent !

Thersites

(…) O thou great thunder-darter of Olympus, forget that thou art Jove, the king of gods, and, Mercury, lose all the serpentine craft of thy caduceus, if ye take not that little little less than little wit from them that they have ! »25

Cette tirade exprime l’idée que Jupiter et Mercure sont les maîtres de l’intelligence humaine. Ils peuvent reprendre à leur gré la raison dont ils ont fait don à l’homme. Thersite décrit donc le lien qui, dans la pensée de Shakespeare, existe entre l’esprit humain et les puissances cosmiques. L’intelligence n’est pas l’apanage des mortels, mais l’appropriation microcosmique d’une puissance céleste, le logos, dont Mercure fait figure de messager.

La tirade de Thersite insiste également sur la relation de vassalité entre Mercure et Jupiter. Hermès était en effet considéré comme un messager de Zeus devant obéir à son maître quoiqu’il lui en coûte, comme l’a si bien exprimé Eschyle dans son Prométhée enchaîné, montrant un Hermès compatissant aux souffrance du Titan mais obtempérant à la punition cruelle décidée par son seigneur. La relation hiérarchique est donc particulièrement importante entre le roi des Olympiens et son messager ailé. Aussi, lorsque le discours d’Ulysse insiste sur la notion de hiérarchie, il est probable que le texte vise le lien de vassalité existant entre Jupiter et Mercure plutôt que la hiérarchie militaire des Achéens. Rétablir la hiérarchie ne signifiait peut-être pas, pour Shakespeare, le réaménagement des structures de commandement de l’armée grecque, mais restaurer la relation de vassalité qui doit exister entre Hermès et Zeus, c’est-à-dire entre le logos cosmique et la raison humaine. Car une raison coupée de son lien à l’ordre du cosmos devient néfaste, comme l’exprime Troïle lorsqu’il évoque la raison des Grecs, la qualifiant de planète désorbitée :

« Troïle

(…) Un Grec et son épée, de ladite raison

Il vous chausse les ailes mêmes et s’envole

Comme Mercure quand le gronde Jupiter

Ou quelque astre désorbité ?

Troilus

(…) A Grecian and his sword, if he do set

The very wings of reason to his heels

And fly, like children Mercury from Jove

Or like a star disorbed ? »26

Mercure fait donc partie, pour Shakespeare, des « bad revolting stars »27, des astres contraires ayant refusé l’ordre cosmique et quittés leurs orbites légitimes. C’est pourquoi la raison humaine peut revendiquer une autonomie où elle se satisfait de sa propre pénétration, jugement et logique, se réduisant elle-même à des calculs politiques stériles et des arguties dépourvus de toute grandeur. Les débats qui agitent le camp des Grecs dans Troïle et Cresside sont à l’image d’une telle raison « désorbitée » perdant tout sens et toute légitimité. Si Ulysse insiste sur la notion de hiérarchie cosmique au début de la pièce, c’est bien parce qu’il sait que la puissance cosmique incarnant la rationalité a quitté sa trajectoire assignée et que la raison humaine, qui en est le reflet, est en conséquence devenue mauvaise. La révolte de Mercure contre l’autorité de Jupiter est l’archétype de l’anarchie qui règne dans le camp des grecs, mais surtout de celle qui règne dans les consciences.

Un personnage tel que Thersite peut être intégralement expliqué par les considérations qui précèdent. Celui-ci ne cesse de louer l’intelligence et de railler tout ceux qui selon lui n’en sont pas suffisamment pourvus, les traitant d’ânes ou d’imbéciles. Il fait preuve tout au long de la pièce d’une remarquable perspicacité, portant des jugements incisifs et pénétrants sur divers personnages. Mais au combat, la véritable nature de ce valet d’Achille se révèle au grand jour car il doit fuir et avouer sa lâcheté. L’intelligence humaine est donc, pour Shakespeare, à l’image de Thersite : d’une lucidité implacable mais d’une humanité défaillante. Car Mercure, la raison ailée, a quitté son orbite, rompu le lien qui l’unissait à l’ordre solaire légitime.

Contre la puissance cosmique d’Hermès dont les Grecs sont les hérauts, le Troyens du drame de Shakespeare semble avoir choisi de se placer sous la protection d’une divinité qui rivalise point par point avec les attributs du père de Pan. Troie est sous l’influence de la puissance nocturne et des divinités qui lui sont associées : Vénus (dont Hélène et Cresside sont les humaines incarnations), Éros (dont Pandare joue le rôle d’entremetteur et chante la gloire) et Hécate (symbolisée par la nuit des noces de Troïle et Cresside).

Dans cette pièce de Shakespeare, chacune de ces divinités forme un contraste ou une similitude avec l’un des attributs de Mercure. Ainsi, Mercure est considéré comme une divinité ayant pouvoir de commander au sommeil :

 » (…) [Hermès] fait passer de la veille au sommeil, du sommeil à la veille (…) »28

Mais Troïle va évoquer le sommeil prodigué par la puissance nocturne en insistant sur l’abolition de la pensée que procure le repos :

« Troïle

(…) Que le sommeil appesantisse

Ces jolis yeux et qu’il enchaîne tous tes sens

D’aussi doux liens que ceux des marmots sans pensées. (…)

Troilus

(…) sleep lull those pretty eyes,

And give as soft attachment to thy senses

As infants empty of all thought. (…) »29

Ce sommeil n’est donc pas celui auquel commande la divinité ailée de la pensée, mais celui que commande une divinité qui, au contraire, anéantit la pensée. Cette divinité qui s’oppose à la raison tout en disputant à Hermès son pouvoir sur le sommeil est probablement la Nuit. En effet, un peu plus loin, Troïle caractérisera la nuit comme une sorcière capable de fuir d’une aile plus rapide que la pensée :

« Cresside

La nuit n’a pas duré.

Troïle

La sorcière ! Elle a des lenteurs infernales

En compagnie des scélérats, mais elle fuit

D’une aile plus instantanée que la pensée

Toute étreinte d’amour. (…)

Cressida

Night hath been too brief.

Troilus

Beshrew the witch ! with venomous wights she stays

As tediously as hell, but flies the grasps of love

With wings more momentary-swift than thought. (…) »30

Pour Troïle, le vol du dragon de la nuit(The dragon wing of night31) est donc plus rapide que le vol d’Hermès, dieu de la pensée (thought32). En se plaçant sous le signe de la divinité nocturne, les Troyens pensent être en mesure de vaincre la puissance cosmique d’Hermès. Car la nuit ravie à Hermès son pouvoir de maître d’Hupnos, distancie la pensée de son vol de dragon et octroie à l’homme la quiétude absolue du nourrisson sans pensées (infants empty of all thought).

La cosmologie de cette pièce de Shakespeare est donc construite autour d’une opposition entre la puissance cosmique d’Hermès, dieu de la pensée, et celle de la Nuit qui anéantit la conscience. Cette opposition est symbolisée par la course du dieu aux pieds ailés et du dragon de la nuit, course où ce dernier remporte la victoire. Car Mercure, planète ayant quitté son orbite, n’est pas en mesure de contrer la Nuit infernale et son fils, le dragon. La raison desséchée des Grecs ne mérite pas plus la victoire que la passion des Troyens, emportée par le vol d’une bête monstrueuse.

Mercure et Cupidon traversent le Styx

Il est probable que le dragon de la nuit auquel fait allusion Shakespeare dans cette tirade d’Achille soit le dieu Éros. La poursuite de l’étude comparative des attributs rivaux des deux divinités semble révéler une telle figure : Hermès et d’Éros sont tout deux pourvus d’ailes et rivalisent au vol (comme Éros rivalise avec Thanatos ailé dans Le roi Jean).

Nous avons pu étudier comment la figure du dragon de la nuit signifiait, dans Henry VI, le principe d’opposition à la lumière solaire du Logos christique. Dans Troïle et Cresside, le dragon de la nuit, symbole d’Éros, s’oppose également au logos puisqu’il combat Mercure, dieu de la raison et de l’éloquence. Bien évidemment, ce logos mercuriale est sensiblement différent du Logos de l’Évangile de Jean auquel Henry VI fait référence, puisque Mercure est pour Shakespeare une des planètes désorbitées. Le dragon n’en demeure pas moins une force d’opposition à toute clarté émanant de la rationalité et de l’ordre.

Dans Troïle et Cresside, le dragon Éros semble également vouloir se substituer à Hermès pour ce qui concerne la conduite des morts dans l’Hadès. En effet, Mercure s’est vu conféré par Pluton le pouvoir de mener les âmes des défunts au pays des ombres :

« Hadès l’adopta [Hermès] (…) comme messager pour lui amener les morts avec douceur et après les avoir convaincus, en posant la houlette d’or sur leurs yeux. »33

Ce pouvoir est symbolisé par sa baguette qui lui permet de commander au sommeil, confirmant l’analogie grecque entre le sommeil et la mort :

« Dans l’Odyssée, le dieu se sert de sa baguette, cette rhabdos qui a le pouvoir de plonger les humains dans le sommeil comme de les en tirer, pour indiquer aux prétendants le chemin de l’Hadès. Pindare aussi connaît la baguette d’Hermès qui montre aux morts la direction de la « voie creuse ».34

Mercure est donc un dieu passeur auquel a été octroyé le pouvoir de conduire les morts à leur dernière demeure. Il s’agit de l’une des rares divinités susceptible de pénétrer à la fois les espaces souterrains et infernaux, le monde des hommes et le ciel des dieux. Cette possibilité d’Hermès de pénétrer et de visiter le royaume des morts est évoqué par Ulysse, lorsque celui-ci affirme à brûle-pourpoint à Achille qu’il est au courant de son amour pour une Troyenne car l’État possède un pouvoir d’investigation qui lui permet même de connaître les richesses de Pluton :

« Ulysse

(…) Un État vigilant

Est armé d’une prévoyance qui connaît,

Pour ainsi dire à un grain près, l’or de Pluton,

Palpe le fond des gouffres les plus insondables

Va du train même de l’esprit et, tels les dieux,

Dévoile les pensées dans leurs muets berceaux.

Ulysses

(…) The providence that’s in a watchful state

Knows almost every grain of Pluto’s gold,

Finds bottom in th’uncomprehensive deeps,

Keeps place with thought and almost like the gods

Does thoughts unveil in their dumb cradles. »35

Ce n’est certainement pas à un service des renseignements généraux ou à une police secrète achéenne qu’Ulysse faisait allusion ici. Et si c’était le cas, pourquoi utiliser une telle métaphore des richesses de Pluton pour décrire une activité d’espionnage relative aux affaires humaines ? Pourquoi l’État connaîtrait-il les richesses du royaume des morts, sinon parce que l’État d’Ulysse est investit du pouvoir d’Hermès Psychopompe ? Le mystérieux pouvoir de l’État (There is a mystery (…) in the soul of state36) évoqué par Ulysse pourrait donc bien être le pouvoir de la puissance cosmique de Mercure. L’État a le pouvoir de connaître les richesse d’Hadès car, adombré par la puissance cosmique d’Hermès, il a comme lui le pouvoir de franchir les seuils infernaux.

Ce lien entre la structure de l’État et le dieu Hermès n’est pas une simple invention de Shakespeare. En effet, Jean-Pierre Vernant a montré que le fils de Zeus présidait à tout ce que la vie sociale comprends d’accords, de transaction formulées, de rassemblements publics, etc. :

« Dans tous les lieux où les hommes , quittant leur demeure privée, s’assemblent et entrent en contact pour l’échange (qu’il s’agisse de discussion ou de commerce), comme à l’agora, et pour la compétition, comme au stade, Hermès est là (…). Il assiste comme témoin aux accords, aux trêves, aux serments entre partis opposés ; il sert de héraut, de messager, d’ambassadeur à l’étranger (…). »37

Hermès préside à toute formulation des lois ou des accords qui régissent les rapports publics. Or, qu’est-ce qu’un État, sinon un ensemble de règles, d’accords, de lois qui régissent la vie sociale d’une communauté ? Quand Shakespeare fait dire à Ulysse qu’un État avisé connaît les richesses de Pluton, associant ainsi l’ordre social à la divinité de Mercure, son connexion est parfaitement légitime au regard de la théologie de la Grèce antique. Hermès est la divinité de l’État, c’est pourquoi l’État peut connaître le royaume d’Hadès.

Mais la divinité de l’amour semble disputer à Hermès ce pouvoir de médiation entre les mondes. À la scène 1 de l’acte III, Pandare accepte de se faire l’interprète d’un chant dont le contenu semble assez superficiel, mais qui n’évoque rien de moins que le pouvoir de l’amour de passer sans encombre le seuil de la mort :

« Pandare

(…) Il chante :

L’amour, l’amour,

Lui seul et lui toujours.

Son arc atteint

La biche avec le daim.

O trait funeste !

Ce n’est pas tant qu’il blesse,

Mais sans cesse il caresse

La plaie.

Les amants crient « Oh ! Oh ! », chacun pense mourir,

Mais ce qui cause leur trépas

Change leur « Oh ! Oh » en « Ah ! Ah »

Car l’amour est vivant lors même qu’il expire.

L’on gémissait « Oh ! Oh », maintenant c’est « Ah ! Ah »

Que l’on soupire.

Là, là.

Pandarus

(…) [sings

Love, love, nothing but love, still love, still more !

For, O, love’s bow

Shoots buck and doe ;

The shaft confounds

Not that it wounds

But tickles still the sore.

These lovers cry Oh, oh, they die !

Yet that which seems the wound to kill,

Doth turn oh ! oh ! to ha ! ha ! he !

So dying love lives still.

Oh ! oh ! a while, a while, but ha ! ha ! ha !

Oh ! oh ! groans out for ha ! ha ! ha ! »38

Comme le dit Pandare, l’amour est vivant lors même qu’il expire, ce qui signifie que la frontière de la mort n’en est pas une pour lui. Comme Hermès, la divinité de l’amour est capable de traverser le seuil qui sépare les morts des vivants. L’amour ne connaît pas la mort, car la porte du royaume ténébreux lui est toujours ouverte. Nous trouvons une confirmation sans équivoque de cette hypothèse à la scène suivante, lors de la rencontre qui prélude à la nuit de noce de Troïle et Cresside. Troïle compare alors son attente à celle que doivent endurer les morts sur la berge du fleuve infernal en attendant Charon :

« Troïle

(…) je vais rôdant devant sa porte

Comme aux rives du Stix erre une âme étrangère

Qui guette le passeur. Oh ! sois mon nautonier,

Transporte-moi d’un train rapide en ces prairies

Où je m’allongerai sur les couches de lys

Réservées au plus méritant. O cher Pandare,

Arrache à Cupidon ses ailes diaprées,

Puis envolons-nous vers Cresside !

Troilus

(…) I stalk about her door,

Like a strange soul upon the Stygian banks

Staying for waltage. O, be thou my Charon,

And give me swift transportance to those fields

Where I may wallow in the lily beds

Proposed for the deserver ! O gentle Pandar,

From Cupid’shoulder pluck his painted wings,

And fly with me to Cressid ! »39

Pour traverser le Styx, Troïle refuse d’attendre le passeur et demande à Pandare de le faire traverser à l’aide des ailes de Cupidon (Cupid’s(…)painted wings). Afin de traverser le royaume des morts, il se place sous le signe du pouvoir du dieu de l’amour alors que cette fonction est normalement dévolue à Hermès.

On pourrait penser que cette tirade n’est que la métaphore de l’impatience amoureuse de Troïle, pourtant d’autres indices corroborent le fait que Troïle envisage réellement une traversée du royaume d’Hadès en faisant appel à la puissance d’Éros. Lorsque Cresside va être présentée à Troïle, Pandare déclare que celle-ci est aussi effrayée que si elle avait vu un spectre :

« Pandare

(…) Elle est si rougissante, si pantelante qu’on la croirait sous la terreur d’un spectre. (…)

Pandarus

(…) she does so blush, and fetches her wind so short as if she were frayed with a sprite. (…) »40

Cette métaphore de Pandare n’est peut-être pas seulement destinée à symboliser la pudeur et l’effroi d’une virginité qui envisage ses derniers instants, mais dépeint la terreur qui s’empare de l’âme lorsqu’elle aborde les rives du royaume souterrain. De même, au cours de la conversation qui s’engage entre Troïle et Cresside, celle-ci semble soudainement redouter la présence d’un monstre. Troïle la rassure alors en lui affirmant que :

« Troïle

(…) que ma dame ne conçoive nulle crainte : aucun monstre ne figure dans le cortège de Cupidon.

Troilus

(…) let my lady apprehend no fear : in all Cupid’s pageant there is presented no monster. »41

Pourquoi Cresside craindrait-elle un monstre, sinon parce qu’elle sait que sa conversation amoureuse avec Troïle est en réalité un voyage vers l’Hadès dont l’entrée est gardée par le chien Cerbère ! Le prélude à l’acte sexuel des deux amants est un voyage dans l’antre de la nuit et de la mort. Mais Troïle rassure Cresside en lui montrant que le gardien Cerbère n’est d’aucun pouvoir sur Cupidon. Car Cupidon détient la capacité de franchir les différents seuil chthoniens auxquels les âmes des morts doivent d’ordinaire sacrifier. Voyager dans le cortège de Cupidon (Cupid’s pageant) préserve de la rencontre avec le monstre-chien des Enfers. Telle est sans doute le sens de l’énigmatique tirade de Troïle affirmant qu’aucun monstre ne figure dans le cortège de Cupidon. Cependant, Cresside n’a pas la conscience tranquille. Sans doute parce qu’elle sait que seul Hermès peut légitimement franchir le seuil que garde le chien des Enfers. Seul la puissance cosmique du dieu aux pieds ailé peut traverser la frontière souterraine de Cerbère. L’affinité cosmique entre Hermès et Cerbère a en effet été analysé par Robert Triomphe dans son ouvrage consacré au miel dans la culture et la mythologie grecque :

« Les rapports d’Hermès avec le chien [Cerbère] sont fondés sur des affinités profondes, sur un affrontement aux frontière que l’un garde et que l’autre traverse, frontières de l’espace, frontières du temps. Hermès cligne de l’oeil : il est le dieu de l’aurore et du crépuscule, clins d’oeil du jour ; chaque jour il ouvre et ferme avec sa baguette les yeux des mortels. Et justement ces seuils sont gardés par les chiens, aux yeux brillants de gardiens toujours en éveil. Tels sont d’ailleurs les yeux d’Argus et de Charon ; et ceux des étoiles qui veillent en clignotant sur les rythmes de la terre. »42

L’adéquation entre la puissance cosmique d’Hermès et celle de Cerbère est donc de nature cosmologique. Elle est fondé sur les harmonies du jour et de la nuit, sur la complémentarité de leurs regards, mi-clos ou grand ouvert. Cerbère réclame en outre, pour céder le passage aux morts, un gâteau de miel, ce miel de l’ordre social solaire de l’âge d’or. La seule légitimité pour franchir le seuil de Cerbère est celle du messager du jour et de la Ruche solaire ; en aucun cas il n’autoriserait le passage d’Éros, fils de la nuit et promoteur du chaos social. Quand Éros franchit la porte de Cerbère, il viole les lois de l’univers.

Hermès et Éros constituent donc, dans cette pièce de Shakespeare, une opposition cosmologique. L’un comme l’autre ont le pouvoir de franchir le seuil chthonien. Mais seul Hermès en a la légitimité. Dans Troïle et Cresside, Éros s’oppose donc à l’État comme l’anarchie à la hiérarchie.

Le Temps et l’État

Pourquoi ce pouvoir de traverser le monde des morts est-il si important dans la rivalité qui oppose ces deux divinités ? La réponse semble être que le pouvoir de traverser la mort permet de vaincre le Temps, principal ennemi de l’État. Le temps est en effet évoqué à plus de cinq reprise dans cette pièce de Shakespeare, comme s’il s’agissait de la principale force adverse de l’ensemble des protagonistes (en I, 2, 71 puis III, 3, 46 à 49 et 65 à 70 ; IV, 4, 41 à 47 et enfin en IV, 5, 165 à 171). En effet, lors de son serment de fidélité à Troïle, Cresside évoque le Temps qui détruit les États et les civilisations :

« Cresside

(…) Quand le Temps sera vieux et s’oubliera lui-même,

Quand l’eau qui perle aura rongé les murs de Troie

Et l’insensible oubli dévoré les cités,

Quand les puissants États se seront effrités

Dans un néant de poussière, sans épitaphes, (…)

Cressida

(…) When time is old and hath forgot itself,

When warterdrops have worn the stones of Troy,

And blind oblivion swallowed cities up,

And mighty states characterless are grated

To dusty nothing, (…) »43

Elle jure fidélité à son amant en affirmant que son amour sera plus fort et plus durable que le Temps qui détruit les États. Ce qui signifie qu’Éros, pour les amants troyens, possède la particularité de vaincre Chronos, de survivre à l’action érodante du temps auquel l’État-Hermès ne sait résister. En effet, c’est le temps qui a provoqué la détérioration des races métalliques, la fin de l’âge d’or et l’avènement de l’âge de fer.

L’amour et plus fort que la mort, plus fort que le Temps et, partant, plus fort que l’État. Mais cette confiance en la puissance d’Éros est détrompée au cours du drame par la trahison de Cresside. L’infidélité de la Troyenne révèle en effet que, si Éros est une divinité sur laquelle Chronos n’a pas prise (dans la Théogonie d’Hésiode, Éros naît effectivement avant Chronos), la réversibilité des serments est constitutive de sa nature. Le Temps n’a pas de prise sur Éros, mais l’inconstance de ce dernier ne permet pas d’en faire le garant de la moindre fidélité.

Face à ce pouvoir du Temps capable de détruire les États, les Grecs semblent quant-à eux avoir adopté une autre stratégie : la persévérance. C’est en effet à cette vertu que le camps des Achéens en appelle tout au long de la pièce, exhortant Achille à savoir en faire preuve. Ainsi le discours qu’Ulysse tient au fils de Thétys :

« Ulysse

Le Temps, monseigneur, a sur le dos

Un sac où ce monstre-géant d’ingratitude

Enfouit sans cesse des aumônes pour l’Oubli.

Ces rebuts, ce sont les bonnes actions passées

Et l’oubli les dévore aussitôt qu’accomplies.

Il n’est, mon cher seigneur, que la persévérance

Pour garder son lustre à l’honneur.

Ulysses

Time hath, my lord, a wallet at his back

Wherein he puts alms for oblivion,

A great-sized monster of ingratitude.

Those scraps are good deeds past, which are devoured

As fast as they are made, forgot as soon

As done. Perseverance, dear my lord,

Keeps honour bright : (…) »44

Pour contrecarrer l’action du temps, l’homme doit apprendre la persévérance. C’est également le discours qu’Agamemnon tient aux autres chefs des Grecs au début de la pièce, affirmant que les dix ans de siège qu’ils viennent de vivre est une épreuve destinée à développer leur constance :

« Agamemnon

(…) Dès lors, princes, pourquoi jeter sur notre ouvrage

Des regards déconfits et nommer déshonneur

Ce qui n’est rien de moins qu’atermoiements, qu’épreuves

Grâce auxquels le grand Jupiter décèle en l’homme

Une constance longanime : pur métal

Qui ne se trouve point quand sourit la Fortune –

(…) Et de qui a substance et gravité demeure

Riche en vertu non mélangée.

Agamemnon

(…) Why then, you princes,

Do you with cheeks abashed behold our works,

And call them shames, which are indeed nought else

But the protractive trials of great Jove

To find persistive constancy in men ?

The fineness of wich metal is not found

In fortune’s love : (…)

And what hath mass or matteer, by itself

Lies rich in virtue and unmingléd. »45

Cette constance capable de supporter l’épreuve du temps est comparée par Agamemnon à un métal sans mélange (unmingléd) qui ne peut être trouvé dans la fortune’s love, c’est-à-dire dans le pouvoir conféré par l’amour. L’image du métal pur doit retenir l’attention, car la pureté du métal est un thème majeur de la cosmologie de Shakespeare. Dans Roméo et Juliette, la rouille qui attaque le fer est en effet le symbole de la puissance cosmique d’Éros dans le sein de sa mère la Nuit. Dans Le roi Jean, la possibilité de la corruption d’un métal noble comme le fer est symptomatique de l’âge de fer dans lequel, selon Shakespeare, l’humanité est entrée. Dans Le Songe d’une nuit d’été, le magnétisme des aimants (c’est-à-dire du métal ferreux) est synonyme de la puissance d’attraction et de répulsion de l’amour, c’est-à-dire d’Éros. Il semble donc que, dans la cosmologie de Shakespeare, la possibilité d’obtenir un métal sans mélange ni aucune corrosion équivaille à une victoire sur la puissance cosmique d’Éros, ainsi qu’à une résistance à la corruption cosmique généralisée que représente l’entrée dans l’âge de fer.

En effet, ainsi que le signale Jean-Pierre Vernant, le pouvoir du Temps est caractéristique de la corruption qui règne sur l’âge de fer :

« C’est le vieil âge qui donne, au contraire, sa couleur au temps des hommes de fer : la vie s’y use dans un vieillissement continu. Fatigues, labeur, maladies, angoisses, tous les maux qui épuisent inlassablement l’être humain, le transforment peu à peu d’enfant en jeune homme, de jeune homme en vieillard, de vieillard en cadavre. temps équivoque, ambigu, où le jeune et le vieux, associés, se mélangent et s’impliquent l’un l’autre comme le bien le mal, la vie la mort, la Dikè l’Hubris. À ce temps qui fait vieillir le jeune s’oppose, au terme de l’âge de Fer, la perspective d’un temps tout vieux : un jour viendra, si l’on cède à l’Hubris, où aura disparu de la vie humaine tout ce qui est encore jeune, neuf, vivace et beau : les hommes naîtrons vieux avec les tempes blanches. Au temps du mélange succédera, avec le règne de la pure Hubris, un temps tout en vieil âge et tout en mort. »46

Le pouvoir corrupteur du Temps est la principale caractéristique de l’âge de fer. Quand Cresside parle d’un futur où le temps sera lui-même devenu vieux, elle espère une époque de l’histoire où l’humanité sortira de l’âge de fer, qui est aussi l’âge du Temps. Éros, pense-t-elle, lui permettra de franchir ce seuil d’un nouvel âge. Agamemnon et Ulysse, quant-à eux, misent sur la constance et la persévérance, vertus qui permettent de résister à la corruption de l’âge de fer. En effet, Hésiode dépeint sous les traits d’un agriculteur patient et laborieux l’homme qui sait résister aux tentations du dernier âge :

« Plongé dans cet univers ambigu, l’agriculteur d’Hésiode doit choisir entre deux attitudes qui correspondent aux deux Eris évoquée au début du poème. La bonne Lutte est celle qui l’incite au travail, qui le pousse à ne pas ménager sa peine pour accroître son bien. Elle suppose qu’il a reconnu et accepté la dure loi sur laquelle repose la vie à l’âge de fer : pas de bonheur, pas de richesse qui ne soient payés d’abord d’un rude effort de labeur. (…) »47

Dans Troïle et Cresside, c’est le valeureux Hector qui est dépeint sous les traits du laboureur travailleur et consciencieux, allant à la guerre comme il irait labourer son champs :

« Alexandre

(…) Hector, chez qui la patience

Est quasi immuable, aujourd’hui s’agitait,

Frappait son écuyer, rabrouait Andromaque,

Et, comme s’il faisait la guerre en laboureur,

Vêtu de sa légère armure, c’est dès l’aube

Qu’il a gagné le champs de Mars où chaque fleur

Prophétisait avec des larmes les ravages

De la fureur d’Hector.

Alexander

(…) Hector, whose patience

Is as a virtue fixed, today was moved :

He chid Andromache and struck his armourer ;

And, like as there were husbandry in war,

Before the sun rose he was harnessed light,

And to the field goes he ; where every flower

Did, as a prophet, weep what it foresaw

In Hector’s wrath. »48

Hector symbolise donc la parfaite résistance de l’homme aux tentations de l’âge de fer. Comme l’agriculteur d’Hésiode, il part à la guerre en laboureur, avant l’aube, pour prélever sa moisson de morts. Sa patience, nous dit Shakespeare, est quasi immuable(as a virtue fixed), ce qui veut dire qu’il détient cette persévérance et cette constance que les Grecs s’efforcent d’acquérir, le métal sans mélange que le temps ni Éros n’ont pu oxyder. En revanche, Achille symbolise la paresse et la suffisance du guerrier qui se laisse corrompre par la logique de l’âge de fer. C’est pourquoi Achille est comparé par Ulysse à une mauvaise herbe poussant dans un champs laissé en friche :

« Ulysse

(…) l’orgueil monté en graine

Qui chez le luxuriant Achille a foisonné,

Mûr comme il est, doit dans l’instant être fauché,

Sinon sa mauvaise engeance va se répandre

Et nous étouffer tous.

Ulysses

(…) the seeded pride

That hath to this maturity blown up

In rank Achilles must or now be cropped,

Or, shedding, breed a nursery of like evil

To overbulk us all. »49

L’orgueil d’Achille est le symptôme de l’abandon de la vertu du cultivateur capable de résister à la corruption de l’âge de fer. L’âme d’Achille est un champs en friches abandonné par son cultivateur parti faire la guerre :

« L’autre Lutte est celle qui, arrachant l’agriculteur au travail pour lequel il est fait, l’incite à rechercher la richesse, non plus par le labeur, mais par la violence, le mensonge et l’injustice (…) »50

Tandis qu’Hector symbolise le bon agriculteur des Travaux et des jours, Achille représente le mauvais agriculteur, celui qui laisse son champs en friche pour partir à la guerre, néglige de travailler, tant sur lui-même que pour les autres, et entraîne l’âge de fer vers sa ruine finale où le temps sera si puissant que les hommes naîtront avec des tempes blanches. La meurtre d’Hector par Achille et ses Myrmidons à la fin de la pièce symbolise l’échec de la lutte contre la corruption de l’âge de fer. Car Achille n’a pas su tirer parti de l’enseignement d’Ulysse et d’Agamemnon et appliquer leur stratégie de lutte contre le pouvoir du temps.

Éros et l’anarchie

En conséquence, c’est le Temps qui, dans cette pièce, finit par remporter la victoire. Le bon agriculteur vaincu par le mauvais agriculteur, rien ne peut plus prémunir la civilisation humaine du stade ultime de la corruption de l’âge de fer. Or, cette phase finale où le temps corrompe tout est aussi celui du règne de l’anarchie :

« Le tableau de l’agriculteur égaré par l’Hubris, tel que le présente l’âge de Fer à son déclin, est essentiellement celui de la révolte contre l’ordre : un monde sens dessus dessous où toute hiérarchie, toute règle, toute valeur est inversé. »51

Au final, c’est donc bien l’État qui est la cible du temps. Hermès est vaincu par Chronos car l’âge de fer s’achève sur un déni de tout ordre institué, sur l’absence de respect des accords et des traités qui régissent les rapports publics auxquels le dieu apportaient son attention et sa protection. Ainsi, lorsque Ulysse évoquait, à la scène 3 de l’acte I , la nécessité de respecter la hiérarchie et qu’Agamemnon, dans la même scène, évoquait la vertu de l’endurance aux épreuves afin que puisse être discriminer le pur métal de la constance, ils parlaient tout deux de la même chose ! Résister au pouvoir du Temps dans l’âge de fer signifie tout autant apprendre la vertu du patient labeur que de respecter la hiérarchie de l’État.

L’anarchie qui caractérise la fin de l’âge de fer semble causée, pour Shakespeare, par la puissance cosmique d’Éros. En effet, c’est l’amour qui, nous dit Patrocle, a corrompu le coeur d’Achille et l’a incité à la funeste paresse du mauvais cultivateur :

« Patrocle

(…) Mais réveillez-vous, cher.

Que le mol et lascif Amour qui se cramponne

A votre cou délie sa luxurieuse étreinte

Et s’aille perdre dans les airs comme une goutte

De rosée quand le lion secoue sa crinière.

Patroclus

(…) Sweet, rouse yourself, and the weak wantom Cupid

Shall from your neck unloose his amorous fold

And, like a dew-drop from the lion’s mane,

Be shook to air. »52

Cupidon (Cupid) est cramponné au cou d’Achille, l’incitant à la mollesse (weak) et à la lascivité (wantom). La puissance cosmique d’Éros est à l’origine de la paresse d’Achille et de son autosatisfaction coupable ayant pour conséquence l’anarchie qui s’abat sur les Grecs à la fin de la pièce. Un autre indice, contenu dans le texte de Shakespeare, nous permet de confirmer ce rôle d’Éros sur l’âge de fer. Lors de son discours aux Grecs, Ulysse parle de l’appétit, le loup universel qui se dévore lui-même et conduit l’État à sa ruine :

« Ulysse

(…) Et ledit appétit, ce loup universel,

(…) Fait nécessairement sa proie de l’univers,

Puis lui-même enfin se dévore. (…)

Ulysses

(…) And appetite, an universal wolf,

(…) Must make perforce an universal prey,

And last eat up himself. (…) »53

Et lorsque Ajax et Agamemnon évoquent l’orgueil d’Achille, le général grec caractérise l’orgueilleux comme un homme qui se dévore lui-même :

« Agamemnon

(…) L’orgueilleux se dévore lui-même. L’orgueil est son propre miroir, sa propre trompette, sa propre chronique. (…)

Agamemnon

(…) He that is proud eats up himself : pride is his own glass, his own trumpet, his own chronicle ; (…) »54

L’orgueilleux imite donc l’appétit que dénonçait Ulysse. Il est l’émule du loup universel qui détruit l’État et l’ordre du cosmos. Si l’orgueil d’Achille est bien la conséquence de la possession du héros par Cupidon, le loup universel de l’appétit n’est autre que la puissance cosmique d’Éros.

Hermès, Éros et la connaissance de soi

Lorsqu’Achille, Patrocle et Thersite dénigrent la hiérarchie, ils se gaussent d’une certaine définition de l’identité de la personne que celle-ci permet, lui préférant l’autosatisfaction de l’orgueil né du pouvoir d’Éros :

« Achille

(…) Allons, qu’est-ce que c’est qu’Agamemnon ?

Thersite

Ton chef, Achille. Dis moi maintenant, Patrocle, qu’est-ce que c’est qu’Achille ?

Patrocle

Ton maître, Thersite. Dis-moi maintenant, s’il te plaît, qu’est-ce que tu es, toi-même ?

Thersite

Quelqu’un qui te connaît, Patrocle. Dis-moi maintenant, Patrocle, qu’est-ce que tu es ? (…)

Je récapitule toute l’affaire. Agamemnon commande Achille ; Achille est mon maître ; je suis celui qui connaît Patrocle et Patrocle est un imbécile. (…) Agamemnon est un imbécile de prétendre commander à Achille ; Achille est un imbécile de se laisser commander par Agamemnon ; Thersite est un imbécile de servir pareil imbécile ; et Patrocle est l’imbécile par excellence.

Achilles

(…) Come, what’s Agamemnon ?

Thersites

Thy commander, Achilles ; then tell me, Patroclus, what’s Achilles ?

Patroclus

Thy lord, Thersites ; then tell me, I pray thee, what’s thyself ?

Thersites

Thy knower, Patroclus ; then tell me, what art thou ?

(…) I’ll decline the whole question. Agamemnon commands Achilles  ; Achilles is my lord ; I am Patroclus’ knower, and Patroclus is a fool.

(…) Agamemnon is a fool ; Achilles is a fool ; Thersites is a fool, and, as aforesaid, Patroclus is a fool.

(…) Agamemnon is a fool to offer to command Achilles ; Achilles is a fool to be commanded of Agamemnon ; Thersites is a fool to srve such a fool ; and Patroclus is a fool positive. »55

Cette tirade est une véritable dérision de la hiérarchie et de la connaissance de soi qu’elle permet. Se définir soi-même par sa position dans la hiérarchie est, pour Thersite, le signe que l’on est un véritable imbécile (fool). Cette tirade prends directement le contre-pieds d’une tirade d’Agamemnon où celui-ci déclare savoir qui il est parce qu’il connaît son rang dans la hiérarchie :

« Agamemnon

(…) Il ne faudrait point qu’il pensât que notre rang

Soit chose dont nous n’osions pas nous prévaloir

Ou encore que nous ignorions ce que nous sommes.

Agamemnon

(…) Lest perchance he think

We dare not move the question of our place,

Or know not what we are. »56

Il est donc possible d’affirmer que deux formes de connaissance de soi s’affrontent dans cette pièce de Shakespeare. La première est la connaissance de soi permise par la connaissance de sa situation au sein de la hiérarchie sociale, c’est-à-dire une identité procurée par Hermès, divinité garante de l’ordre dans la sphère publique. La seconde est l’autosatisfaction de l’individu dans la paresse qui corrompe l’âge de fer, c’est-à-dire le sentiment d’une identité procurée par Éros, loup universel et dragon de la nuit.

Dans Troïle et Cresside, Hermès lutte avec Éros, ce dernier n’ayant de cesse que de ruiner l’ordre social en développant orgueil et paresse chez ses victimes, oxydant le pur métal de la constance et se faisant l’auxiliaire du Temps.

Mais l’échec d’Hermès a sans doute pour cause sa fuite hors de son orbite légitime. L’âge d’or où Hermès était le messager obéissant de Zeus n’est plus, ce qui signifie la fin d’une époque où l’individu pouvait se satisfaire d’une définition de lui-même que lui procurait sa situation dans la hiérarchie sociale, comme l’abeille dans la ruche. Depuis le début de l’âge de fer, l’homme aspire à une autre forme de connaissance de soi (que d’autres pièces de Shakespeare tentent de décrire). C’est pourquoi Thersite est parfaitement en droit de railler la hiérarchie et l’attitude hautaine d’Agamemnon, vestige d’un passé révolu. Hermès ayant quitté le service de Zeus, l’État n’étant plus celui de l’âge d’or et l’individu cherche à répondre autrement à la question du « Connais-toi toi-même ». Éros lui propose une réponse, orgueil et paresse, qui satisfait Achille et amène l’anarchie. Ulysse inaugure une nouvelle voie, le labeur de l’homme rayonnant ses vertus sur les autres et apprenant à se connaître en contemplant les fruits de son travail, les résultats des bonnes actions entreprises au service de tous.

Le message d’Ulysse n’est pas entendu dans Troïle et Cresside, bien qu’il eut rendu possible une réconciliation de l’individu et de l’État, ce qui, en termes cosmologiques, signifiait le retour de Mercure au sein de l’ordre cosmique solaire. Mais ce que les protagonistes d’une tragédie n’ont su percevoir, ses spectateurs en revanche le doivent…

Conclusion

La trame cosmologique qui sous-tend l’action et la philosophie de Troïle et Cresside pourrait être résumé sous la forme d’un récit mythologique :

Au commencement, le cosmos était une unité que le soleil gouvernait, dispensant ordre et harmonie. Les planètes, quoiqu’ayant chacune leurs caractéristiques propres, conjuguaient et complétaient leurs influences sous la conduite de leur astre tutélaire. Les hommes vivaient alors en paix et en harmonie au sein d’une nature paradisiaque où le miel coulait des arbres. Hermès, puissance cosmique par qui naissent, se forment et se perpétuent les rapports publics entre les hommes, veillait à ce que l’État, semblable à une ruche, se calque sur l’ordre des cieux. C’était l’âge d’or.

Mais la Nuit, qui se tient aux frontières du cosmos, a envoyé son fils, le dragon Éros. Celui-ci a alors rivalisé de puissance contre le roi des cieux, créant un puissant pôle d’attraction où tout l’univers fût tenté de basculer. La plupart des planètes cédèrent peu ou prou à l’appel de la puissance du Désir et désobéirent au Logos cosmique. La terre fut alors détachée du ciel et Éros choisit d’y fonder son empire, attendant l’heure où le reste de l’univers finirait par céder à son tour. Les hommes perdirent l’unité qui les reliait les uns aux autres, se divisèrent et se querellèrent. Leurs coeurs apprirent à ressentir le pouvoir de la passion amoureuse, mais aussi orgueil et paresse, nés du même venin du dragon/loup universel. Ce fût l’âge de fer.

L’âge de fer est l’âge du Temps, du vieillissement, l’heure cosmique où doit se décider qui, du soleil ou d’Éros, remportera la victoire finale. Éros parviendra-t-il à faire vieillir le soleil lui-même, étendant son empire jusqu’à son plus irréductible ennemi et le faisant basculer du trône des étoiles encore vierges de son atteinte pour y prendre sa place ?

L’issue de cette bataille n’appartient cependant qu’aux hommes, car c’est à eux, selon Shakespeare, de faire un choix entre les deux divinités cosmiques. S’ils prennent le partie d’Éros, leur coeur se fendra de telle manière que l’unité même de leur âme sera rompue, quand bien même l’orgueil leur procure l’illusoire sentiment d’être eux-mêmes. L’anarchie régnera parmi les hommes et la destruction des États sera le prélude à la domination de la Nuit sur l’univers. En revanche, s’ils font le choix difficile et laborieux de reproduire en eux-mêmes l’axe révolu des cieux, apprenant à se connaître eux-mêmes par ce que le monde leur renvoie de leurs actions, comme le soleil ne perçoit sa propre lumière que reflétée sur les autres astres, un nouvel âge d’or solaire renaîtra de la rouille de l’âge de fer.

Telle est la trame cosmologique sur laquelle Shakespeare bâtit sa réflexion sur l’interaction de l’État et de l’individu. Sans doute la fin du Moyen-Âge laissait-elle entrevoir à notre auteur élisabéthain la fin d’un ordre social se pensant le reflet de l’ordre céleste. Il est probable que Shakespeare ait dû concevoir la fin imminente d’un monde où le corps de la reine était l’image du cosmos et où chacun des sujets se définissait par la place qu’il occupait au sein de la hiérarchie sociale. Pour Shakespeare, bien qu’un tel nouvel ordre social fondé sur l’individu signifiait le péril de l’orgueil et de l’anarchie, sa solution n’est cependant pas un retour à l’ancien régime, mais une définition de l’individu qui se connaît grâce à ce qu’il fait pour les autres. La forme étatique susceptible de naître d’une telle attitude n’est ni la hiérarchie du passé ni l’anarchie, mais une forme qui reste à inventer.

1 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 166 à 167

2 Theodore Spencer, Shakespeare et la nature de l’homme, Paris, Flammarion, Idées et Recherche, 1974, pages 29 et 31

3 James Dauphiné, Les structures symboliques dans le théâtre de Shakespeare, Les Belles Lettres, Mayenne, 1983, page 219

4 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 62 à 65

5 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 62 et 63

6 Robert Graves, Les Mythes grecs, tome 1, traduction de Mounir Hafez, Hachette Pluriel, Évreux (Eure), 1995, pages 39, 44 et 45

7 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 62 à 65

8 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte IV scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 188 à 189

9 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 1, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 128 et 129

10 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte II scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 96 et 97

11 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte II scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 116 et 117

12 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte V scène 7, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 60 et 61

13 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 70 et 71

14 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 60 et 61

15 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 160 et 161

16 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 1, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 26 et 27

17 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 144 et 145

18 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 1, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 28 et 29

19 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 1, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 28 et 29

20 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte V scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 252 et 253

21 Brian Morris, Introduction, in Shakespeare, Troïle et Cresside, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, page 7

22 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte II scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 114 et 115

23René Ménard, La mythologie dans l’art ancien et moderne, deuxième édition, Librairie CH. Delagrave, Paris, 1880, page 474

24Pierre Lévêque et Louis Séchan, Les grandes divinités de la Grèce, collection L’Ancien et le Nouveau, Armand Colin, Mayenne, septembre 1990, page 276

25 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte II scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 106 et 107

26 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte II scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 94 et 95

27 Shakespeare, Henry VI, première partie, acte I scène 1, traduction de Georges Garampon, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 44 et 45

28 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, La découverte/Poche, Saint Amand-Montrond (Cher), novembre 1998, page 159

29 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte IV scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 182 à 183

30 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte IV scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 182 à 183

31 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte V scène 8, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 280 et 281

32 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte IV scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 182 à 183

33 Robert Graves, Les Mythes grecs, tome 1, traduction de Mounir Hafez, Hachette Pluriel, Évreux (Eure), 1995, page 75

34Maria Daraki, Dionysos et la déesse terre, Champs Flammarion, Manchecourt, 1994, page 39

35 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 166 à 167

36 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 166 à 167

37 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, La découverte/Poche, Saint Amand-Montrond (Cher), novembre 1998, page 158

38 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 1, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 134 et 135

39 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 1, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 138 et 139

40 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 140 et 141

41 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 144 et 145

42 Robert Triomphe, Le lion, la vierge et le miel, Les Belles Lettres, collection Vérité des Mythes, Condé-sur-Noireau, février 1989, pages 87 et 88

43 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 150 et 151

44 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 162 et 163

45 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 2, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 58 et 59

46 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, La découverte/Poche, Saint Amand-Montrond (Cher), novembre 1998, page 42

47 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, La découverte/Poche, Saint Amand-Montrond (Cher), novembre 1998, pages 39 et 40

48 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 1, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 34 et 35

49 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 76 et 77

50 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, La découverte/Poche, Saint Amand-Montrond (Cher), novembre 1998, pages 39 et 40

51 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, La découverte/Poche, Saint Amand-Montrond (Cher), novembre 1998, pages 39 et 40

52 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte III scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 166 à 167

53 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte I scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 64 et 65

54 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte II scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 116 et 117

55 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte II scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 108 à 111

56 Shakespeare, Troïle et Cresside, acte II scène 3, traduction de Pierre Leyris, Le Club Français du Livre, Paris, 1967, pages 110 et 111

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Théâtre et Cosmos dans Troïle et Cresside de Grégoire Perra est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.


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