Les vagues étaient froissées par le vent, formant les mêmes plis que les étoffes détrempées moulant le corps des jeunes filles sculptées. Peut-être était-ce l’intensité turquoise de la baie qui faisait poindre en moi ce sentiment de féminité souveraine du paysage devant lequel je me trouvais ? Car si une femme se dressait dans le monde avec autant de force que cette couleur, qui pourrait encore lui contester sa présence ou vouloir la diminuer ?
En effet, l’émotion de l’eau émeraude s’engouffrant entre les bras de la terre jusqu’aux plages de Corinthe n’était pas celle du bleu de la haute mer, gonflée de ses vastes profondeurs mouvantes ! Elle avait le surprenant éclat des oranges encore vertes dans le feuillage épais des orangers, qui se dissimulent jusqu’au jour où elles prennent soudainement l’apparence de petits soleils sucrés.
Ce vert qui flamboyait à l’extrême limite du bleu m’étonnait bien davantage que ne l’aurait fait son frère le rouge, s’avançant dans la bataille avec le cliquetis des armes et un terrible cri de guerre sur son char de métal giclant de lumière ! Bien au contraire, il me fallait venir jusqu’au sanctuaire de cette sensation qui ne clamait pas son mystère, mais qui demeurait à distance sur la montagne sacrée, protégée dans sa citadelle où il me fallait déposer les armes de mon intelligence avant d’entrer.
Ainsi, j’acceptais d’être sans voix en voulant l’approcher, ayant si peu touché à l’acte d’enfanter qu’être humble devant elle s’imposait. Et si daventure je devais l’évoquer au cénacle d’un banquet, j’attendais que vienne mon tour après que tous aient parlé, laissant le sentiment de sa beauté me traverser, faisant paraître les mots justes avançant uns à uns vers son autel.
Alors face à la mer de sa silhouette dressée, je laissais mon coeur tranquillement se poser, soulevé par ses bras attentionnés, bercé par le bruit de l’eau cadencée. Lui seul était digne de la célébrer ! Non pas dans la solitude d’un crâne emmuré, croyant pouvoir renaître par sa seule volonté, mais dans l’assurance des liens dont tout mon corps est tissé.
Depuis ce jour, je décidais de prendre soin de sa poitrine, blessée par le glaive de l’apôtre sans mère qui voulait tout régenter, sourd à la douceur et aux voix mélodieuses des sirènes. Car je connaissais la monstruosité de ceux qui veulent procréer en dehors du flot de la vie, dont l’écume se pare de rose dans le couchant, comme le sang des étoiles se mettant à chanter.